Le saut de barils, une affaire de famille

Deux fois vice-champion du monde, six fois champion canadien et aux prises avec de multiples fractures. À quelques jours de la dissolution de l’Association canadienne de saut de barils, son président, Gilles Leclerc, se dit nostalgique, mais est prêt à tourner la page sur ce sport auquel il a consacré sa vie.

À 73 ans, M. Leclerc est encore tout un athlète. Malgré quelques courbatures, il est enjoué, vif d’esprit et son regard trahit sa passion pour ce sport. « J’ai bien peur que la fin de l’organisation signifie la fin de ce sport au Québec », avoue-t-il, résigné. Finie l’époque des Maurice Daoust, Émile Santerre et Yvon Jolin. La dernière compétition officielle de saut de barils s’est tenue en 1995, l’année même où la Fédération québécoise a enregistré son dernier membre.

« Ce n’était qu’une question de temps, il n’y a pas de relève. Les gens pensent que c’est trop dangereux », dit-il. Pourtant, à travers les années, le sport, qui consiste à sauter en patin par-dessus des barils – 16 pouces de diamètre et 31 pouces de long, – a beaucoup évolué.

Au départ, l’entourage de M. Leclerc comprend mal son engouement pour ce jeu téméraire. « Mes parents, mon frère et ma sœur n’étaient pas très sportifs, mais moi, j’avais du mal à quitter la glace. Mon père cachait même mes patins pour me forcer à faire mes devoirs », explique l’homme, originaire de Montréal.

Gilles Leclerc a découvert le saut de barils par hasard, mais a vite été intéressé par la dimension du défi. « Je ne suis pas très grand, mais j’étais agile. La première fois que j’ai mis les patins, j’ai sauté 10 barils, alors que le record était de 11. À la fin de la soirée, j’en ai fait 13 », explique-t-il en pointant un trophée doré. Cette récompense n’est d’ailleurs pas la seule qu’il a reçue. Dans son bureau aménagé au sous-sol, plus d’une trentaine de médailles et de figurines y trônent.

À l’époque, son talent ne passe pas inaperçu. Quelques semaines après sa première performance, le champion québécois, George Coallier, l’invite à venir s’entraîner avec lui au Forum. À ce moment, il sait qu’il consacrera sa vie et son énergie à ce sport, au détriment de sa future femme, qu’il rencontra à l’âge de 21 ans.

Malgré son emploi à plein temps de représentant et ses multiples compétitions, Gilles veut s’investir davantage et transmettre son savoir. À la fin des années soixante, il fonde son école à Saint-Bruno-de-Montarville, qui deviendra l’un des plus grands regroupements de « sauteurs ». Entre 1980 et 1985, il accueille jusqu’à 120 jeunes par session, des statistiques au-delà de ses espérances.

Même en connaissant les risques reliés à ce sport où les protecteurs de coudes et de dos sont obligatoires, Gilles a toujours encouragé ses fils à s’y adonner. « Il ne nous a jamais forcés, mais quand tu es jeune, tu veux faire comme ton père, surtout si c’est spectaculaire », confie Sylvain Leclerc, le fils cadet.

L’implication de ses fils a d’ailleurs facilité l’acceptation de la retraite pour M. Leclerc. « Un jour, je pense même écrire un livre pour y conté tous les bobos que j’ai eus, dit-il en riant. Mais le plus grand coup, je l’ai encaissé quelques jours avant un championnat canadien. Je me suis brisé la jambe et le pied. Je savais que pour moi, c’était fini. »

À 36 ans, celui qui en était à son cinquième titre canadien consécutif a tiré sa révérence. Son record personnel est établi à 16 barils (26 pieds et 10 pouces), soit un de moins que le record mondial de l’Américain Kenny Lebel. Gilles Leclerc détient encore, à ce jour, le record canadien extérieur sur glace. « Quand est venu le moment de tout arrêter, la transition n’a pas semblé trop difficile, car il vivait le sport à travers nous. En compétition, lorsque je m’apprêtais à sauter, je le voyais dans les estrades faire le geste avec moi, affirme Sylvain. Et puis, il y avait les spectacles. »

Les démonstrations publiques qu’évoque son fils lui ont permis de voyager tout en continuant à faire ce qui le passionnait. « On allait aux États-Unis presque toutes les fins de semaine.Tout le monde s’est impliqué dans les spectacles ; le saut de barils, c’est une affaire de famille. C’était beau à voir avec du feu et des effets spéciaux. J’ai même sauté par-dessus ma femme », dit-il en sortant un album photo.

Au fil des pages, de jeunes athlètes en pleine performance, des clowns et des costumes témoignent d’une époque révolue. « Le sport était plus connu et plus médiatisé à l’époque, c’est dommage de le voir disparaître. Mais ça reste mon sport, affirme-t-il. Je connais toutes les statistiques par cœur. »

Pour Sylvain, l’implication de son père va au-delà des chiffres. « C’est un ambassadeur du sport, il a apporté une contribution importante, surtout pour faire découvrir le sport. S’il avait pu faire juste ça de sa vie, je pense qu’il l’aurait fait. »

« On a eu espoir de voir le saut de barils aux Olympiques dans les années quatre-vingt, mais pas assez de pays voulaient embarquer, raconte-t-il, encore déçu. Au moins, j’aurai fait connaître ce sport incroyable aux résidants de Saint-Bruno et au Québec », conclut Gilles Leclerc.