La fin d’une institution

Fermeture du Sun Wah à Saint-Bruno-de-Montarville

Sun Wah n’est plus. Après plus de 50 ans à offrir des mets chinois, le restaurant de Saint-Bruno-de-Montarville vient de fermer ses portes, le 11 juin dernier.
En entrevue avec les propriétaires, le journal Les Versants a appris que la bâtisse avait été vendue au mois de mai. Celle-ci sera démolie et une nouvelle construction devrait être érigée sur deux étages. D’après eux, un autre genre de restaurant s’y installera, et des bureaux seront aménagés au second plancher.

Le moment de vendre

Pour le propriétaire original du Sun Wah, Kai Poi Chan, le moment était venu de vendre, de prendre une pause. Malgré cette évidence, il se dit attristé de voir que c’est la fin de l’aventure qu’il a amorcée en 1966. Ses fils, Benny et Billy Chan, qui sont en affaires à ses côtés depuis 36 et 40 ans, comprennent et acceptent la situation. Pour eux, ce sera l’occasion de passer à autre chose.
Né en Chine, Kai Poi Chan est venu de Hong Kong en 1956 rejoindre son oncle, qui vivait déjà au Québec. Après son arrivée, il envoyait de l’argent à sa femme pour que celle-ci puisse un jour le rejoindre avec Billy. Les quatre autres enfants de la famille, dont une fille, sont nés au Québec. M. Chan a travaillé à Trois-Rivières avant son arrivée à Saint-Bruno, en 1964. « J’aime Saint-Bruno. Les gens sont gentils. C’est tranquille, paisible. Même si j’ai vendu le restaurant, je ne quitte pas Saint-Bruno », soutient le père du Sun Wah.

Les débuts

À l’époque, M. Chan était employé pour Saint-Bruno BBQ depuis deux ans avant de faire l’achat du commerce et de le renommer Sun Wah. On y servait des mets chinois et des mets canadiens (hamburger steak, fish ‘n chips, steak…). Le chiffre d’affaires pouvait atteindre 1 500 $ par semaine, alors que des plats se vendaient 0,95 $, 1 $, 1,10 $, 1,75 $. Un dîner pour 6 personnes coûtait 11,50 $! Les déjeuners étaient aussi servis. « Beaucoup de travail, lance Kai Poi Chan. Nous étions très occupés. Autour, à Saint-Bruno, Saint-Basile, Sainte-Julie, Saint-Amable, il n’y avait presque pas d’autres restaurants! »
Déjà populaire dans sa première année, le Sun Wah voit sa clientèle et ses revenus exploser lors d’Expo 67 : des recettes de 3000 $ par semaine qui atteindront à un moment 7 000 $. Mais le travail rattrape le propriétaire au début des années 70, et celui-ci décide d’arrêter d’offrir les déjeuners. Dans les années 80, c’est au tour des mets canadiens d’être rayés du menu.

« J’aime Saint-Bruno. Même si j’ai vendu le restaurant, je ne quitte pas Saint-Bruno. » – Kai Poi Chan

1976, la plus folle des années

« Je suis arrivé en poste en 1980, mais je me souviens de 1976. C’était l’année la plus folle! » raconte Benny Chan. Sept cuisiniers et sept serveuses travaillaient sur le plancher et en cuisine. La raison de cette folie? « Les Jeux olympiques d’été à Montréal. Les gens étaient de bonne humeur. Le monde se sentait bien. Il y avait une effervescence, une joie, une fierté. Ça se ressentait jusqu’ici, sur la rue Montarville à Saint-Bruno! » Une rue Montarville que M. Chan a vue se développer, prendre de l’expansion.
Pour désengorger son restaurant à l’approche des Jeux olympiques, Kai Poi Chan achète en 1974 un autre commerce, cette fois à Saint-Basile, afin d’y servir aussi des mets chinois. Le restaurant s’appelait Kweilin et M. Chan l’a ensuite vendu en 1979.
En 1986, après des moments plus difficiles, des agrandissements sont apportés au restaurant, lui permettant de passer de 60 à 125 places. Les chiffres d’affaires bondissent. « La restauration, ça se passe toujours en montagnes russes, en dents de scie. Il y a des hauts et des bas », admet Benny Chan, qui en profite pour remercier deux employées loyales et honnêtes, Juliette Dubé et Vivianne De Beaujour, qui ont travaillé 35 et 27 ans pour la famille Chan.

Les clients

« Nous avions nos fidèles. Certains d’entre eux viennent manger depuis 48 ans! Nous avons des réguliers qui sont ici tous les dimanches. Un homme a d’ailleurs demandé la main de sa femme au Sun Wah! Plusieurs sont attristés de la fermeture. Beaucoup sont aujourd’hui décédés », indique en entrevue Benny Chan, alors qu’un homme fait son entrée dans le restaurant. Un ancien policier qui a œuvré 33 ans à Saint-Bruno-de-Montarville. Il vient rencontrer les propriétaires. Il a appris la nouvelle de la fermeture prochaine de cette institution de la restauration montarvilloise et vient leur souhaiter bonne chance pour la suite. « Ç’a m’a fait mal au cœur d’apprendre que ça fermait. J’ai vu les enfants de M. Chan grandir. C’est une très bonne famille, des amis fidèles, prêts à aider n’importe qui », révèle le policier à la retraite Alain Rivest.

Merci aux policiers… et tous les autres

Ce qui amène Kai Poi Chan à revenir sur une époque plus trouble de Saint-Bruno-de-Montarville. « Dans les années 60 et 70, il y a des clients qui sortaient de la taverne et venaient ici semer le trouble. Juste parce que nous sommes Chinois. C’était du racisme », se rappelle l’aîné, qui faisait alors appel aux policiers, dont M. Rivest. Aujourd’hui, le paternel remercie ces policiers de l’époque, mais aussi tant d’autres, dont l’ancien maire Marcel Dulude (« gentil »), la famille Grisé (« des amis ») et les associations sportives.
Sun Wah est une entreprise familiale de trois générations, puisque la fille de Billy, Émilie Bédard, était aussi de l’aventure.

QUESTION AUX LECTEURS :

Quels souvenirs gardez-vous du Sun Wah?