Est-ce la cupidité ou la stupidité qui règnent à Saint-Bruno-de-Montarville?

Seul 1,7 % de nos gênes nous différencie du chimpanzé, notre plus proche parent dans le monde animal. C’est ce 1,7 % qui nous a rendus « maîtres du monde ». C’est aussi ce 1,7 % qui a fait que nous disposons, comme aucune autre espèce sur Terre, de la capacité de nous détruire massivement ainsi que toutes les espèces vivantes avec nous. En effet, que ce soit par les armes que nous avons développées – méthode plus rapide et plus radicale – ou par l’anéantissement de notre écosystème – méthode plus lente, mais tout aussi efficace –, nous avons le pouvoir d’annihiler toute trace de vie du globe si tel est notre désir. Mais pourquoi ferions-nous cela?

Jadis, on aurait répondu : par ignorance ou inconscience. Aujourd’hui, ce serait par insouciance, ou pire, par cupidité. Et par stupidité.

En effet, c’est notre cupidité qui nous fait stupidement détruire nos forêts, véritables poumons de la planète, polluer nos lacs et nos rivières, alors que l’eau est l’un des éléments indispensables à la vie, saturer nos sols de substances nocives telles que des produits phytosanitaires et des engrais chimiques, alors que la terre est à la base de notre alimentation. C’est aussi la stupidité et la cupidité qui feront que bientôt, à Saint-Bruno-de-Montarville, des dégâts innommables seront causés à l’un de nos précieux milieux humides, une zone tampon entre la nature et le développement urbain, et qu’on fragmentera encore davantage un espace forestier déjà grandement compromis.

Oui, la cupidité et la stupidité universelles se sont bel et bien frayé un chemin jusqu’ici. Quand on analyse les raisons pour lesquelles on va couper une impressionnante quantité d’arbres matures, dynamiter la roche mère en sous-sol, et recouvrir d’asphalte et de ciment une tourbière abritant une flore et une faune aussi riche qu’elle est diversifiée, on ne peut que conclure que la cupidité et la stupidité président aux décisions à l’Hôtel de Ville.

Et quand on lit que les experts appelés à donner leur avis sur les dommages écologiques qu’entraînerait la réalisation du projet domiciliaire du Boisé des Hirondelles ont conclu qu’on pouvait procéder sans problèmes à la construction dans ce boisé, mais qu’on apprend ensuite que ces mêmes experts ont partie liée avec des firmes d’urbanistes-conseils employées par le promoteur immobilier qui a des intérêts directs dans le projet, on ne peut que constater que la cupidité des uns mise grandement sur la stupidité des autres.

Et quand on apprend que Claude Benjamin, le maire de notre ville, rejette les trente-deux recommandations d’une commission consultative sur le Plan de conservation commandée par nul autre que lui-même, et qu’on a vu à ces audiences défiler un impressionnant aréopage d’experts véritables, on se dit que la cupidité n’a d’autres limites que celles de la stupidité.

Et quand on lit que les autorités municipales de Sainte-Julie, fortes d’une planification urbaine passablement plus saine, ont refusé la réalisation d’un projet semblable à celui du Boisé des Hirondelles sur un terrain de 16 hectares en bordure du parc du Mont-Saint-Bruno, on se prend presque à regretter de ne pas avoir été jadis fusionnés à cette sage voisine.

Et quand on sait que la présence en zone urbanisée de milieux humides tels que le Boisé des Hirondelles est un important rempart contre le réchauffement climatique causé par les inévitables infrastructures citadines, quand on sait que ces milieux humides hébergent des espèces végétales remarquables et d’autres menacées, que ce sont des lieux qui stockent et restituent progressivement de grandes quantités d’eau et permettent l’alimentation de nappes d’eau souterraines et superficielles, et quand on lit, et quand on voit, et quand on entend que, pour des considérations exclusivement pécuniaires, on se prépare à recouvrir de bitume et de constructions haut de gamme notre Boisé des Hirondelles, on songe à ce qui nous différencie du chimpanzé, à ce qui nous permit d’évoluer jusque là où nous en sommes, et on en arrive à regretter ce 1,7 %.

Louis Émon

Saint-Bruno