Une histoire éternelle (Épisode 5 : Une rencontre inattendue)

Comme l’avait fait la jeune Samantha L’Espérance, Eddie marcha également sur la ligne verte. Il se rendit ainsi jusqu’à la station Radisson.

Il était conscient d’avoir échappé miraculeusement à l’une des bombes larguées sur Montréal.

À l’heure actuelle, il se doutait bien de la mort de ses parents. La dernière fois qu’Eddie leur avait parlé, ils demeuraient dans un condo de luxe de Montréal. Edgar avait eu raison à propos de son rêve, dans lequel il voyait un grand feu frapper la Terre. Tous ses amis aussi devaient maintenant être morts et calcinés dans les décombres. Même Edgar le prophète.

Après avoir repris son souffle dans les bas-fonds du métro, sur la ligne jaune, en direction de Longueuil, Eddie remonta, racontant aux quelques individus qu’ils croisaient ce qui venait de se passer à la surface. Certains restaient incrédules, d’autres se pressaient pour aller voir, pour en avoir une preuve ou parce qu’ils voulaient témoigner des atrocités. Eddie continua son chemin sans se préoccuper des autres survivants du métro. Il prit deux bonnes journées pour traverser toute la ligne verte vers Honoré-Beaugrand et se rendit jusqu’à la station Radisson.

À la surface, il observa les dégâts causés par les missiles qui avaient explosé plus loin vers le centre-ville. Des incendies faisaient encore rage autour de lui. Malgré l’épais nuage de poussière subsistant toujours dans l’air, il devinait que la nuit venait de tomber.

Quelques mètres plus loin, la Place-Versailles ne semblait pas avoir subi beaucoup de dommages. La bâtisse tenait encore debout. Et qui dit centre commercial dit grand choix de nourriture, de vêtements et de médicaments. Eddie s’y dirigea d’un pas décidé.

Il entra dans une tabagie et trouva des cigarettes. Il en alluma une immédiatement et prit une bouffée. Jamais la cigarette n’avait eu si bon goût. Il la fuma au complet en mangeant une Mars. Il reprit le paquet déjà entamé et en sortit une deuxième, s’empressant de l’allumer. Juste avant de sortir de la tabagie, il ramassa à deux reprises des paquets de cigarettes et les mit dans son sac. Lui qui ne fumait pas si souvent, il en aurait pour un bon bout de temps avec tous ces paquets. Maintenant, au lieu de sentir la forte odeur de la mort, c’est l’odeur désagréable de la cigarette qu’il avait en plein nez.

Eddie en profita pour entrer dans certaines boutiques et se vêtir plus confortablement afin d’affronter la nouvelle température extérieure. Le jeune homme avait l’intention de marcher beaucoup, sans toutefois savoir dans quelle direction il irait. Mais il se baladerait. Il ramassa donc une nouvelle paire de souliers qu’il attacha par les lacets à son sac à dos. Les bottes qu’il portait présentement étaient encore de bonne qualité. Le punk magasina ensuite pour des vêtements chauds et une couverture, qu’il sangla à son sac.

Eddie se présenta ensuite à l’entrée de l’épicerie du centre commercial, entra et se dirigea du côté de la nourriture en conserves.

Alors qu’il passait devant le kiosque à journaux, il sentit un mouvement sur sa gauche. En se retournant, il aperçut une jeune femme d’environ trente ans qui lui faisait face. Son regard aux yeux foncés, son petit nez aquilin et ses lèvres charnues firent de l’effet à Eddie. Elle avait un visage magnifique et portait une veste de laine bleu ciel, un jeans orné d’insignes floraux dans le bas des pattes et des bottes de travail. Ses cheveux blonds, presque jaune maïs, étaient remontés bien haut au-dessus de sa tête à l’aide d’une énorme pince noire. 

   – Salut, dit-elle d’une voix tremblante.

   – Tu… tu es une survivante?

   – Est-ce que j’ai l’air d’avoir survécu à quelque chose?

Souriante, elle s’avança vers lui en tendant la main.

   – Moi, c’est Mimi.

   – Mimi? Quand j’étais petit, j’appelais ma grand-mère Mimi.

   – La mienne, je l’appelais Mamie.

Puisqu’Eddie ne trouva rien à répondre à la suite de cette réplique, il se présenta également. Ils firent plus ample connaissance et décidèrent de poursuivre leur route ensemble.

Mimi vivait à Rivière-des-Prairies. Elle avait fait le trajet en autobus pour venir magasiner le jour de la catastrophe. Lorsque les missiles avaient explosé, les gens s’étaient mis à paniquer et à courir partout vers l’extérieur du centre commercial. Ils se dirigeaient pourtant directement vers le danger. Mimi fut une des rares à rester à l’intérieur et, aujourd’hui, elle ne le regrettait pas : elle était en vie.

Les deux survivants étaient assis dans l’un des restaurants du centre commercial et mangeaient un fruit. Ils parlèrent durant environ deux heures et décidèrent finalement qu’ils traverseraient le tunnel Louis-Hippolyte Lafontaine pour se rendre sur la Rive-Sud (Montréal). Pour aller où? Ils l’ignoraient encore, mais vu les circonstances, tout ce qu’ils avaient à faire, c’était de marcher et de trouver d’autres rescapés. Parce que si Mimi et Eddie étaient devenus survivants, d’autres l’étaient aussi ailleurs. Il suffisait de les trouver.

Ils se couchèrent chacun sur une banquette et s’endormirent quelques instants plus tard.

 

                À suivre le mois prochain…

Frank Rodi

 

Note aux lecteurs : Une histoire éternelle

est un feuilleton qui contiendra douze

épisodes, et dont la finale ne vous sera dévoilée qu’au mois

de décembre 2013. Pour tout commentaire, écrivez à

frodi@versants.com. Bonne lecture!