Noël au manoir seigneurial

Un conte de Noël

C’est le soir de Noël. Dans le manoir du seigneur de Montarville Olivier-Théophile Bruneau, sur les bords du lac Seigneurial, toute la famille s’affaire à décorer, à cuisiner. Pendant que la mère, Dorothy, originaire d’Angleterre, et la cuisinière Lorraine mettent la main aux derniers préparatifs du réveillon, ses filles, Dorothée et Adélaïde, plus jolies l’une que l’autre, s’habillent devant le miroir tout en riant et chantant à tue-tête. Les deux plus jeunes, déjà prêts à partir, se sont assoupis dans le grand salon. Les garçons se chamaillent, comme à l’accoutumée, si bien que leur père, le seigneur de Montarville, s’exclame :

« Quelle honte de vous comporter ainsi la veille de Noël! » Afin de les occuper, il demande à Frédéric-Henri de cirer ses bottes et à Théophile, nommé Théo, de sortir les couvertures de fourrure pour ne pas avoir froid lorsqu’ils descendront de la montagne vers le village. Le cocher a fait chauffer des briques qu’il déposera dans la carriole et il est à installer des clochettes sur le plus beau cheval du seigneur. À onze heures trente, il attend devant la porte et la famille, bien emmitouflée dans ses plus beaux atours, sort et prend place dans la voiture pour aller à la messe de minuit. Une petite neige tombe doucement et les enfants chantent des airs de Noël pour ne pas trouver le chemin trop long. C’est la première messe de minuit, célébrée dans la nouvelle église, bénite en octobre dernier. Elle est implantée au cœur du village que l’on a nommé Saint-Bruno pour commémorer le nom du seigneur François-Pierre Bruneau, décédé l’an dernier, en 1851, et qui avait donné les terrains pour la construction de l’église, du presbytère et du cimetière. N’ayant pas de descendant, c’est son frère Olivier-Théophile qui a hérité de la seigneurie.

Une messe solennelle est dite par le curé Maxime Piette et la chorale, récemment formée, est très appréciée des fidèles. La cérémonie terminée, la famille Bruneau reprend le chemin de la montagne. La neige a cessé, le ciel est clair. Olivier-Théophile ne peut s’empêcher de faire remarquer à ses enfants la beauté des magnifiques pins chargés de neige. Arrivés à destination, ils contemplent la lune : les reflets sur le manteau blanc couvrant le lac font briller ses cristaux comme des diamants.

Toute la famille descend de la carriole et, quelle surprise, un homme est assis sur la dernière marche de l’escalier! Les enfants ont peur et s’agglutinent autour de leur mère, tandis que leur père et le cocher s’approchent de l’homme. Il a peur et se replie sur lui-même. « Que faites-vous ici? », lui demande le seigneur. « Mes pas m’ont mené jusqu’ici et je me repose un peu », répond le vagabond. Tout à coup, un rayon doré descend sur l’épaule du seigneur. Surpris, il tourne sa tête et aperçoit un petit personnage, c’est une fée. Elle lui chuchote quelque chose à l’oreille et il dit : « Ce soir, c’est Noël, je vous invite à ma table et mon cocher s’occupera de vous trouver un endroit pour dormir. » L’homme n’en croit pas ses oreilles. Il s’attendait plutôt à recevoir des coups. Dorothy fait remarquer aux enfants : « Voyez la générosité de votre père. » La fée de Noël retourne sur son rayon doré et s’approche d’eux. En la voyant, les jeunes sont heureux, car ils connaissent bien la fée de Noël du mont Saint-Bruno, elle revient les voir chaque année. Il y a un peu plus de quarante ans, elle était la compagne de jeu de Marie, fille du premier seigneur à habiter le manoir, François-René Boucher de la Bruère. Quand Marie est devenue grande, la fée est restée dans une boule de Noël et elle en ressort chaque année, lorsqu’il y a des enfants, pour semer l’amitié, le partage. Elle se nomme Amanda.

La cuisinière et le valet viennent à la rencontre de la famille. Ils sont surpris en apercevant l’homme qu’ils ne connaissent pas. Le seigneur leur dit : « Ne craignez rien. Comme c’est Noël, il sera notre invité. » Tous s’émerveillent devant les nombreuses bougies allumées qui ornent le manoir et les odorats sont flattés par les odeurs alléchantes. Le valet amène l’homme avec lui pour qu’il fasse un brin de toilette et, avec la cuisinière, il lui trouve des vêtements.

Pendant ce temps, une voiture emprunte le chemin du manoir. Elle s’arrête devant la maison. Un homme et une femme en descendent, avec deux très jeunes enfants. Olivier-Théophile va à leur rencontre. Le visiteur se présente : « Je suis Oscar Charlston, le plus jeune frère de Dorothy. Je lui ai écrit, il y a quelques mois, lui disant que je viendrais vous voir. Je suis parti de l’Angleterre et je vis maintenant aux États-Unis, à Albany. Comme j’avais affaire à Montréal, j’ai décidé de vous faire la surprise. »

Dorothy n’en croit pas ses yeux. Elle tombe dans les bras de son frère préféré qu’elle n’a pas vu depuis une quinzaine d’années. Les larmes coulent à travers les rires. La petite fée de Noël revient sur son rayon doré et, apercevant les deux jumeaux de trois ans, émerveillée, elle va de l’un à l’autre. Ils se nomment Thomas et Édouard. Les enfants les entourent, jamais ils n’ont vu d’aussi beaux jumeaux : même s’ils sont fatigués, les bambins regardent leurs cousins et cousines avec leurs grands yeux et leur sourient. Rapidement, ils vont dans les bras tendus de Dorothée et d’Adélaïde.

La petite fée retourne visiter Olivier-Théophile et lui souffle encore quelque chose à l’oreille. Aussitôt, il dit : « En cette nuit de Noël, je veux voir tout le monde autour de ma table. » La cuisinière, le valet et le cocher se joignent à la famille et au vagabond. Sur la demande du père, le service est exécuté par tous ceux en âge de le faire. Le voyage et les émotions creusent l’appétit. Tout est délicieux! Au dessert, avec la complicité de la cuisinière Lorraine, Oscar dépose sur la grande table le traditionnel plum-pudding anglais, mets que sa sœur adorait.

Voyant que tout le monde est heureux, même le vagabond, et que l’amitié règne, la petite fée de Noël du mont Saint-Bruno décide d’aller dormir. Comme chaque année, elle s’installe à l’intérieur de sa boule de Noël accrochée à l’arbre.