Dernière directrice religieuse à De Montarville

Soeur Thérèse Lemay

Sœur Thérèse Lemay a accepté, à 98 ans, de nous raconter une tranche d’histoire de l’éducation au Québec remise au goût du jour par le film de Léa Pool, La passion d’Augustine.
 
Le film La passion d’Augustine a reçu six prix au 18e Gala du cinéma québécois, le 20 mars, dont le prestigieux trophée du meilleur film.
L’histoire d’Augustine, une religieuse passionnée qui dirige avec succès son couvent spécialisé en musique, aux abords du Richelieu, aurait pu être l’histoire de soeur Thérèse Lemay. Elle est arrivée en 1964 à la direction de l’École primaire De Montarville à Saint-Bruno.
Au début des années 60, la commission Parent, du nom de son président Mgr Alphonse-Marie Parent, a entraîné un élan de nationalisation du système d’éducation au Québec, prenant la place de l’Église dans les collèges et favorisant la mise en place des collèges d’enseignement général et professionnel (cégep).
La congrégation des Sœurs des Saints Noms de Jésus et de Marie (SNJM), qui a largement inspiré la scénariste Marie Vien, est reconnue comme la congrégation religieuse enseignante qui a le plus contribué à l’essor de l’enseignement de la musique au Québec. Elles s’impliquent dans l’école modèle dès 1918, qui deviendra l’École De Montarville, par la suite. Bien qu’elles cessent d’enseigner en 1984, les SNJM continuent d’œuvrer à Saint-Bruno jusqu’en 1985.
Sœur Thérèse en faisait partie. « Je suis arrivée à l’École De Montarville en 1964 comme directrice. Gérard Fillion (ancien maire de Saint-Bruno très impliqué dans le Commission Parent), qui avait participé au rapport Parent, habitait d’ailleurs à Saint-Bruno-de-Montarville. Il venait souvent à l’école. » Sœur Thérèse, qui aimait « beaucoup sa besogne », est restée six ans à la tête de l’établissement abritant des enfants de 5 à 13 ans avant d’être appelée par la paroisse.

« J’ai été la dernière directrice religieuse à l’École De Montarville. » -Thérèse Lemay

« Je suis arrivée à 23 ans à la congrégation, en 1949. J’ai été un an dans une communauté de cloîtrées, mais je m’ennuyais tellement des enfants. Je n’ai pas enseigné longtemps : 11 ans, économe et directrice en même temps. Ensuite, en pastorale. »
La transition qu’imposait aux religieux le rapport Parent était pour elle une très bonne chose. « Dans notre congrégation, nous avons très bien vécu le rapport Parent. On nous suggérait des méthodes d’enseignement, mais on pouvait les adapter. Ça a été une avancée. »
L’église a dû progressivement délaisser les écoles et la transition s’est d’abord faite par les costumes. Habillées en sœur, les religieuses ont adopté un style plus laïque. « C’était l’année de l’Exposition universelle à Montréal. C’est resté très clair pour moi. Ça a été un petit peu difficile, mais les sœurs l’ont accepté facilement. J’ai même été la première, comme supérieure, à être allée chez le coiffeur pour une réunion de responsables où je me suis présentée sans ma coiffe. Quand je suis arrivée, les sœurs m’ont regardée avec de grands yeux, sans dire un mot. Un mois après, tout le monde était comme moi. »
Sœur Thérèse a bien évidemment vu le film, qu’elle trouve très juste. Elle tient cependant à apporter une précision. « Il y avait moins de liberté aux élèves comme le laisse envisager le film dans les écoles religieuses. C’était très réglementé. Jamais capable de travailler dans le bruit ou l’indiscipline, il fallait que ce soit discipliné. »
Sœur Thérèse a mis en place deux maternelles dans son école publique gratuite, elle a aussi favorisé la mixité. « À l’époque, on ne pouvait plus faire redoubler les enfants; avant le rapport, c’était possible. On expliquait que c’était une perte de temps. »
Avant le rapport Parent, après l’école primaire, les élèves n’avaient d’autres choix que de poursuivre leurs études dans un établissement privé, souvent cher. C’est pourquoi le rapport Parent a instauré les cégeps, sans réellement toucher à l’époque aux classes du primaire.
« Nous étions logées, mais on n’avait pas de salaire. On donnait des leçons de musique et cela nous apportait des revenus. Il n’y avait pas de dons, la communauté nous aidait. On était 15 religieuses et on vivait bien. On n’avait pas besoin des fonds de l’Église. Je menais l’école comme je l’entendais. Quand la communauté décidait de changer une sœur, cela se faisait entre nous, sans la commission scolaire.», explique-t-elle.
« J’ai été la dernière directrice religieuse à l’École De Montarville. Tous les ans, on fait une réunion avec les anciens professeurs au mois de septembre. J’ai beaucoup d’amis à Saint-Bruno, mon cœur est encore là », conclut-elle.