Ouverture des dentistes : pas si simple

Depuis le 1er juin, les dentistes ont rouvert leurs portes à leurs patients, du moins ceux qui ont pu se mettre aux normes demandées par la santé publique.

En temps normal, ils portent un masque et des gants pour se protéger des microbes de leurs patients. Pendant cette pandémie, la protection est désormais optimale et ils mettent tous les efforts pour s’y conformer.

Solution hydroalcoolique à l’accueil des cabinets, des salles d’attente avec moins de places disponibles pour favoriser la distanciation physique, un questionnaire aux patients, des flèches sur le sol pour éviter que les gens ne se rencontrent, deux masques l’un sur l’autre ou des masques N95, une blouse jetable ou lavable, des visières, des gants et l’interdiction de parler plus qu’il ne faut au patient pendant l’intervention pour le personnel : ce ne sont que quelques-unes des mesures prises par les cabinets de dentistes qui ont rouvert leurs portes lundi.

Rappelons que les soins dentaires d’urgence ont été considérés comme un service essentiel pour les Québécois. Les dentistes qui sont demeurés ouverts partaient donc avec une longueur d’avance sur les autres, lundi.

C’est le cas pour la Clinique dentaire Tapiero, Bouhadana et Associés. « Nous assurons un service d’urgence depuis le 5 mai. Nous avons reçu 280 appels pendant cette période », nous explique le Dr Maurice Tapiero.

Avant de proposer ses services de première ligne, le cabinet s’est mis aux normes. « Cela n’a pas été facile, car nous n’avions pas réellement de directives claires. Alors j’ai contacté mon cousin, qui travaille à l’hôpital Sainte-Justine, pour savoir quel était le protocole à mettre en place. »

Le cabinet peut jouir d’un bâtiment aux dernières normes en vigueur pour avoir été construit récemment.
« C’est sûr, ça nous a aidés, mais cela a été très difficile de s’approvisionner en matériel. Au début, aucune commande n’arrivait. Toutes étaient réservées au milieu hospitalier, ce qui est normal. C’était une course sur Internet pour tout trouver. Nous sommes maintenant bien équipés. Pour notre système de ventilation, nous avons eu de la chance de commander les filtres demandés à l’avance. Aujourd’hui, pour ceux qui doivent s’approvisionner, c’est la pagaille. »

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la clinique dentaire B. Fabre et Associés, aussi située à Saint-Bruno, n’a pas encore ouvert ses portes. « Nous sommes dans l’attente de certaines commandes », nous a-t-on précisé brièvement au cabinet.
Le Dr Éva Fabre nous précise en effet que la clinique souffre de problèmes d’approvisionnement et qu’elle ne souhaite pas prendre de risque pour la sécurité de son personnel et de ses patients. « Nous avons hâte de recommencer et de revoir nos patients, mais depuis le début de cette crise, nous nous sommes donné comme objectif de répondre oui à deux questions fondamentales avant de pouvoir rouvrir :

Est-ce que je me sens en sécurité pour travailler à la clinique? Est-ce que j’ai confiance dans la clinique pour y faire traiter en toute sécurité ma famille et mes amis? » La réponse sera positive le 22 juin, date programmée de la réouverture. C’est aussi le moment où toutes les réceptions des commandes d’équipement de sécurité sont prévues.

« Malheureusement, les difficultés d’approvisionnement font que nous ne serons pas prêts avant deux semaines. Beaucoup d’équipements de protection individuelle (ÉPI) pour notre équipe et pour nos patients sont en rupture de stock ou destinés en priorité aux hôpitaux. Il est regrettable que nous n’ayons pas d’aide logistique du gouvernement ou de notre ordre professionnel.

Nous devons faire les démarches pour nous les procurer à titre individuel et sans aucun moyen pour valider la qualité des produits. Cela n’a aucun sens! Par exemple, nous n’avons pas accès pour l’instant aux fameux masques N95, qui sont pourtant recommandés dans les directives du MSSS. Les masques KN95 en provenance d’Asie qui nous sont proposés à leur place m’inquiètent en l’absence d’une chaîne d’approvisionnement fiable et contrôlée (conformité de la protection? origine? contrefaçon?) et des prix qui s’envolent devant la demande mondiale », s’inquiète le Dr Fabre.

En attendant la réouverture, toute l’équipe du Dr Fabre n’est pas restée inactive. « Depuis le début de la pandémie, nous faisons des consultations par télédentisterie à titre bénévole auprès de nos patients.Nous avons pris soin d’appeler régulièrement nos patients aînés pour prendre de leurs nouvelles, nous donnons également des conseils à nos patients sur la santé dentaire et pour les tenir informés de la situation à la clinique… Beaucoup de mesures qui pourraient bien rester en place après la pandémie. Nous n’avons jamais eu l’occasion d’avoir trois mois pour repenser l’ensemble de nos services. Nous avons travaillé fort. »

Des dentistes laissés à eux-mêmes
La profession semble unanime quant à l’aide qu’elle a reçu de son ordre ou de la part du gouvernement. « Heureusement, nous avions anticipé la plupart des directives du ministère de la Santé pour la réouverture », indique le Dr Fabre.

Le Dr Tapiero n’est pas non plus très satisfait de l’aide qu’il a reçue.
Il faut dire que le 22 mai, l’ensemble des dentistes du Québec a reçu un document de 61 pages de mesures à prendre. « Des mesures qui laissent libre cours à l’interprétation » pour plusieurs dentistes, et qu’il fallait appliquer le 1er juin.
« Une clinique dentaire, c’est comme un mini-hôpital avec les contraintes similaires en matière de contrôle des infections. Nous avons l’habitude de travailler dans un milieu potentiellement ‘’hostile’’ et nos pratiques d’asepsie, qui étaient déjà très élevées, ont encore été renforcées et adaptées à la réalité de la COVID-19 », précise Mme Fabre.

Une situation inconnue
Dr Tapiero compare la situation de cette pandémie à celle qu’il a vécue dans les années 90 avec le virus du SIDA. « À l’époque, on ne connaissait rien de ce virus. Aujourd’hui, c’est la même chose. C’est difficile de travailler dans l’inconnu. »

Les dépenses de protection sont importantes pour les cabinets dentaires, qui ont dû en assumer les coûts. Certains ont ajouté une ligne sur la facture de service, comme de nombreuses autres professions l’ont fait, pour que les clients participent à ces frais supplémentaires. « Quinze dollars, c’est le montant que nous a conseillé de facturer notre association. Cette somme ne couvrira pas nos dépenses et je ne suis pas convaincu que ce soit la bonne chose à faire. Je ne suis pas certain que nous continuerons à facturer ce montant bien longtemps », indique le Dr Tapiero.

« Nous n’aurons pas le choix de facturer des frais COVID », nous indique aussi le Dr Fabre, sans en connaître pour le moment le montant.