Des histoires poivre et sel

Des aînés isolés

La COVID-19 frappe de nouveau avec une deuxième vague; qu’en est-il de nos aînés en résidence? Témoignages de ceux qui portent le cheveu poivre et sel.

S’il y a une classe de la société que nous n’avions pas encore abordée depuis l’apparition de cette deuxième vague du coronavirus, c’est bien celle des personnes âgées en résidence. Comment ont-elles réagi face à ce retour en force de la COVID-19? C’est la question que le journal Les Versants a posée à quelques aînés du Manoir Saint-Bruno. La plupart, résilients, affirment affronter la crise avec optimisme. « D’autres s’occupent de différentes façons afin de ne pas s’ennuyer ou de ne pas tomber dans la monotonie et la dépression que peut engendrer un isolement », note la directrice des loisirs du Manoir Saint-Bruno, Denise Parsons.

Prenons la situation de Laurette Drainville-Turenne. Cette dame habite seule un petit logement dans lequel elle se sent bien. Lors du confinement printanier, elle est restée à l’intérieur pendant sept semaines. Les choses sont plus lumineuses, cette fois. « Même si mon appartement est petit, j’ai la chance de pouvoir profiter d’un grand balcon que tout le monde voudrait avoir, ici. Ça me permet de prendre l’air », dit au téléphone Laurette Drainville-Turenne, qui est déjà prête pour Noël. « Avec ma petite-fille, on a préparé des desserts et je les congèle. »

« Je suis invalide des jambes, mais je ne suis pas invalide de la tête! » -Jean-Guy Renaud

Même si elle demeure seule, Lise Courchesne s’occupe durant la pandémie. Elle lit, planche sur des mots croisés, tricote, dessine des mandalas, effectue du rangement, rencontre des amis… « Si j’étais toute seule dans ma maison, je trouverais ça plus difficile, mais ici, il est possible de rencontrer des amis quand on descend à la salle à manger. Tout le monde est de bonne humeur. On fait tous partie d’une grande famille », raconte-t-elle.

De son côté, Denise Larivière-Richard indique qu’elle se sent bien, qu’elle n’est ni inquiète, ni anxieuse quant à cette deuxième vague du coronavirus. « Tout se passe bien. Je me sens en sécurité ici », fait part au journal la dame de 85 ans. Tricot, lecture – que des biographies – et activités sur tablette meublent son quotidien. « Le tricot, surtout, me permet de me détendre, de penser à autre chose ou de me concentrer », ajoute Mme Larivière-Richard.

Puis, il y a Suzanne Brown-Chabot, qui vient de souligner son 79e anniversaire. À travers la pandémie, elle réussit encore à s’occuper : aquaforme, méditation, exercices zen de pleine conscience. Contrairement à la première vague, aujourd’hui, elle peut utiliser sa voiture pour se déplacer. « Au printemps, ma voiture était confinée, elle aussi. On ne pouvait pas sortir. Cette fois, j’ai cet avantage d’avoir accès à mon auto. Ce qui me permet d’aller à l’épicerie et de rendre visite à ma fille et à ma petite-fille à l’écurie. » Elles ont des chevaux. Sur place, Mme Brown-Chabot s’assoit dehors et observe les chevaux. « J’ai bien de la difficulté à être isolée, confie celle qui se dit optimiste de nature. Mais par chance, j’ai la télé, la radio, des disques, des livres. Puis je texte de plus en plus souvent avec ma fille, ma petite-fille et ma nièce. »

Le journal a aussi contacté Jean-Guy Renaud, qui demeure au Manoir Saint-Bruno depuis bientôt trois ans. Une chute sur la glace lui a causé une rupture du quadriceps il y a quelques années. Depuis, l’homme de 89 ans, que l’on pouvait rencontrer souvent à la Tasse verte, se déplace en chaise roulante. Il passe la majeure partie du temps à l’intérieur de sa chambre. « Je suis invalide des jambes, mais je ne suis pas invalide de la tête! », lance-t-il de son franc-parler. Quand on lui demande comment il aborde cette deuxième vague, le Montarvillois nous mentionne qu’il vit très bien. Il précise : « C’est dommage de dire ça, mais lors du confinement total, je ne me suis aperçu de rien. J’étais toujours occupé! Je vis donc très bien malgré la situation actuelle. » Comme passe-temps, M. Renaud bidule son ordinateur et écrit beaucoup. « Écrire, j’ai toujours aimé ça! J’ai rédigé ma biographie sur 250 pages. J’ai effectué de la recherche, depuis mon enfance jusqu’à tous les métiers que j’ai faits. Depuis quelques mois, j’ai amorcé le tome 2 », souligne celui à qui l’on doit aussi deux volumes de L’Histoire du monde radioamateur au Québec.

Parti de Rivière-du-Loup, Jean-Yves Desrosiers s’est établi au Manoir Saint-Bruno le 1er avril… 2020! Il est arrivé en plein confinement, au point que lors de son déménagement, le camion a croisé un barrage routier à La Pocatière. « La police ne laissait passer personne du Haut-Saint-Laurent au Bas-Saint-Laurent. J’ai trouvé ça loufoque, parce que j’avais signé pour le manoir en mars », relate M. Desrosiers, qui a pu ainsi se rapprocher de sa fille, à Saint-Basile-le-Grand. L’homme de 90 ans s’occupe autant physiquement qu’intellectuellement. Grand amateur de lecture, il a aussi développé un intérêt pour le jardinage, qu’il pratique sur le terrain en face de son appartement et chez sa fille. « Je m’implique dans la nature. Ça m’apporte une grande satisfaction. Quand je touche la terre, je me sens très près de la vie », admet-il.

Enfin, il y a Lynne Gannon, qui s’est aussi confiée à nous. Selon elle, la situation est difficile. « La seule chose que nous avons encore, c’est la salle à manger, avec des panneaux de plexiglas entre les personnes. » Ce qui ne rend pas les conversations agréables si les résidents ont des problèmes auditifs. « Quand on sort de notre appartement, on aimerait aussi discuter entre nous, pas seulement aller manger. Mais là, on prend le repas et on quitte. Il n’y a pas tant de conversations. » L’octogénaire passe ce moment de solitude comme elle peut. Avec sa tablette électronique, elle communique avec ses proches, qui ne peuvent pas lui rendre visite. Lynne Gannon a aussi un piano, qu’elle a recommencé à utiliser lors du premier confinement. Par contre, son balcon est de moins en moins utile, à cause de la température qui se refroidit. « Apparemment, les règles sont très strictes, ici, comparativement à d’autres endroits. Certains le déplorent ou sont à bout de nerfs. Mais il faut admettre que nous n’avons pas eu de cas depuis le début. Tant mieux; ça signifie que c’est une bonne décision, quand on voit que les cas augmentent partout ailleurs », de poursuivre Mme Gannon, qui partage son plus grand deuil, soit celui d’avoir donné sa voiture. « Si je l’avais conservée, aujourd’hui, je pourrais au moins sortir voir les couleurs. » Puis… : « Si les gens ne sont pas capables de s’organiser une vie en solitaire pendant la pandémie, le confinement va être difficile », croit-elle.

Quand on appelle au Manoir Saint-Bruno et que l’on demande à parler avec la directrice des loisirs, Denise Parsons, il arrive de se buter à la boîte vocale. Le message, chaque matin, diffère pour une raison fort simple : « Si vous êtes résident et que vous jouez au bingo, le numéro aujourd’hui est le… O-62 », pouvait-on entendre jeudi dernier. Il y a bien des façons de passer le temps pendant une crise sanitaire. Par exemple, jouer au bingo à distance, dans le confort de son logement.