Une mémoire de l’éducation disparaît

Sœur Thérèse Lemay avait accepté, à 98 ans, en juillet 2016, de nous raconter une tranche d’histoire de l’éducation au Québec qui avait alors été remise au goût du jour par le film de Léa Pool, La passion d’Augustine. Celle qui a été la directrice de l’École De Montarville à Saint-Bruno s’est éteinte ce mois-ci à l’âge de 102 ans.

Vous rappelez-vous de l’histoire d’Augustine, dans le film de Léa Pool La passion d’Augustine? Le film de 2016 raconte l’histoire d’une religieuse passionnée qui a réussi à diriger avec succès son couvent spécialisé en musique, aux abords du Richelieu. Cette histoire aurait pu être l’histoire de sœur Thérèse Lemay. Elle est arrivée en 1964 à la direction de l’École primaire De Montarville à Saint-Bruno.

Au début des années 60, la commission Parent, du nom de son président Mgr Alphonse-Marie Parent, a entraîné un élan de nationalisation du système d’éducation au Québec, prenant la place de l’Église dans les collèges et favorisant la mise en place des collèges d’enseignement général et professionnel (cégep).

École De Montarville

La congrégation des Sœurs des Saints Noms de Jésus et de Marie (SNJM), qui a largement inspiré la scénariste Marie Vien, est reconnue comme la congrégation religieuse enseignante qui a le plus contribué à l’essor de l’enseignement de la musique au Québec. Elles s’impliquent dans l’école modèle dès 1918, qui deviendra l’École De Montarville, par la suite. Bien qu’elles cessent d’enseigner en 1984, les SNJM continuent d’œuvrer à Saint-Bruno jusqu’en 1985.

Sœur Thérèse en faisait partie. « Je suis arrivée à l’École De Montarville en 1964 comme directrice. Gérard Filion (ancien maire de Saint-Bruno très impliqué dans la Commission Parent), qui avait participé au rapport Parent, habitait d’ailleurs à Saint-Bruno-de-Montarville. Il venait souvent à l’école. » Sœur Thérèse, qui aimait « beaucoup sa besogne », est restée six ans à la tête de l’établissement abritant des enfants de 5 à 13 ans, avant d’être appelée par la paroisse.

« J’ai été la dernière directrice religieuse à l’École De Montarville. » – Thérèse Lemay

Elle nous avait indiqué lors de notre rencontre être « arrivée à 23 ans à la congrégation, en 1949. J’ai été un an dans une communauté de cloîtrées, mais je m’ennuyais tellement des enfants. Je n’ai pas enseigné longtemps : 11 ans, économe et directrice en même temps. Ensuite, en pastorale. »

Le début de l’école laïque

La transition qu’imposait aux religieux le rapport Parent était pour elle une très bonne chose. « Dans notre congrégation, nous avons très bien vécu le rapport Parent. On nous suggérait des méthodes d’enseignement, mais on pouvait les adapter. Ça a été une avancée. »

L’église a dû progressivement délaisser les écoles et la transition s’est d’abord faite par les costumes. Habillées en sœur, les religieuses ont adopté un style plus laïque. « C’était l’année de l’Exposition universelle à Montréal. C’est resté très clair pour moi. Ça a été un petit peu difficile, mais les sœurs l’ont accepté facilement. J’ai même été la première, comme supérieure, à être allée chez le coiffeur pour une réunion de responsables où je me suis présentée sans ma coiffe. Quand je suis arrivée, les sœurs m’ont regardée avec de grands yeux, sans dire un mot. Un mois après, tout le monde était comme moi. »

Sœur Thérèse a mis en place deux maternelles dans son école publique gratuite, elle a aussi favorisé la mixité. « À l’époque, on ne pouvait plus faire redoubler les enfants; avant le rapport, c’était possible. On expliquait que c’était une perte de temps. »

Avant le rapport Parent, après l’école primaire, les élèves n’avaient d’autres choix que de poursuivre leurs études dans un établissement privé, souvent cher. C’est pourquoi le rapport Parent a instauré les cégeps, sans réellement toucher à l’époque aux classes du primaire.

« Nous étions logées, mais on n’avait pas de salaire. On donnait des leçons de musique et cela nous apportait des revenus. Il n’y avait pas de dons, la communauté nous aidait. On était 15 religieuses et on vivait bien. On n’avait pas besoin des fonds de l’Église. Je menais l’école comme je l’entendais. Quand la communauté décidait de changer une sœur, cela se faisait entre nous, sans la commission scolaire », expliquait-elle.

« J’ai été la dernière directrice religieuse à l’École De Montarville. Tous les ans, on fait une réunion avec les anciens professeurs au mois de septembre. J’ai beaucoup d’amis à Saint-Bruno, mon cœur est encore là », nous avait-elle dit alors.

Elle s’est éteinte à Longueuil, le 21 juillet, à l’âge de 102 ans.