Stéphane Talbot cultive de l’or rouge

Du safran à Saint-Basile-le-Grand

Originaire du Moyen-Orient, le safran est considéré comme l’une des épices les plus chères au monde. On en produit notamment en Iran, au Maroc, en France, Italie, Espagne, Grèce, Inde, au Pakistan. Et tout récemment, cette épice appelé poétiquement l’or rouge est aussi disponible au Québec, plus particulièrement au pays du conteur Fred Pellerin, à Saint-Élie-de-Caxton, mais aussi à… Saint-Basile-le-Grand!

Un texte de Frank Jr. Rodi

« Nous avons eu un coup de cœur pour ce terrain de Saint-Basile-le-Grand. Quelques mois plus tard, nous souhaitions nous lancer dans un projet pour une partie de la zone déboisée et cultivable de la terre. Puisqu’elle n’est pas assez grande pour faire pousser du maïs ou encore du soya, nous avons finalement opté pour le safran, dont l’univers gastronomique de haut niveau m’intéresse beaucoup. Un beau défi que j’avais envie de réaliser », mentionne Stéphane Talbot, que le journal a rencontré chez lui. 

Achetée en 2011, la terre occupe au total une superficie de 26 hectares, dont 10 qui sont cultivables. La partie consacrée à la safranière est minime, mais suffisante pour le moment : un demi-hectare. « Ma femme et mes enfants m’aident dans cette aventure, mais la dimension de la safranière fait en sorte que c’est aussi gérable pour une seule personne », de poursuivre le Julievillois.

L’année suivante, à la suite de plusieurs procédures, notamment avec Agriculture Canada, les membres de la famille plantent des bulbes de la grosseur de balles de ping-pong à 20 cm sous terre. Ceux-ci proviennent de France. À la grande joie de monsieur Talbot, les résultats sont concluants dès le premier été. « De petites pousses bien alignées étaient visibles dès le mois de septembre et en octobre, des fleurs ont fait leur apparition. Nous étions plus qu’enthousiastes et très optimistes pour la suite. » Dès la première année de récolte, de 3 000 à 3 500 fleurs sont cultivées. « C’était fantastique », se rappelle le producteur de safran qui, avant de s’engager dans l’aventure, a effectué deux stages en France sur la culture du safran et la gestion d’une telle entreprise.

Un travail minutieux

Ces plants ont ensuite réussi à passer l’hiver. Certains se sont même multipliés et ont pris de la maturité lorsqu’est arrivé le printemps 2013. Cette année, le même nombre de fleurs a été cueilli. « C’est un travail excessivement manuel et minutieux, très difficile. Le désherbage se fait manuellement. Après la récolte, un ouvrage tout aussi manuel et ardu nous attend au retour à la maison. » En effet, après la récolte, il faut retirer les stigmates de la fleur du crocus, le Crocus sativus. Le safran est ensuite obtenu par déshydratation de ses stigmates rouges (extrémités distales des carpelles de la plante), dont la longueur varie généralement de 2,5 à 3,2 cm. « C’est ce que j’appelle l’émondage. J’étends les fleurs sur une table, et ensuite, installé sous une lampe et à l’aide de petits ciseaux et de lunettes, on enlève les stigmates. C’est la portion du boulot qui est un peu plus agréable, parce qu’elle se déroule dans la maison, mais tout aussi manuelle et à accomplir avec beaucoup de précautions », raconte Stéphane Talbot. Les pistils sont ensuite déshydratés, puis mûris pendant une période de trois à quatre semaines après leur récolte. Mais attention, on ne parle pas ici de kilos de pistils séchés et mûris, mais plutôt de grammes, d’autant plus qu’à la déshydratation, ils perdent 80 % de leur masse. Pour un gramme sec de safran, près de 150 fleurs sont nécessaires, évalue l’intéressé. 

Le Clan 

Le Clan, c’est le nom de l’entreprise familiale dans laquelle Stéphane Talbot a maintenant décidé de s’investir à l’année. Père de trois garçons, l’ingénieur de profession explique qu’il s’agit d’une marque de commerce, mais avant tout, Le Clan, c’est la famille et tous ses membres qui s’y impliquent. « Il y a effectivement un rapport à la famille. L’esprit familial est très engagé dans ce défi. Il y a eu beaucoup d’ampoules aux mains depuis nos débuts; Le Clan représente donc les liens que nous avons ensemble et le courage qui a été investi et qui le sera encore à l’avenir. » 

Pour le moment, Stéphane Talbot explique que sa production de safran est trop minime pour vendre son produit à l’état pur. Depuis 2012, il en a récolté environ 60 grammes. Selon lui, il pourra en commencer la vente d’ici trois ans. « Je ne le vendrai pas tout de suite à l’état pur, mais plutôt transformé », émet le safranier en glissant devant l’auteur de ces lignes un pot de pacanes à l’érable safranées. Des pacanes biologiques, du sucre d’érable et le safran de l’entreprise Le Clan, ce qui donne une collation exquise. « C’est une étape supplémentaire, mais qui me permet de faire du chemin avec mon safran. »   

Fils de pépiniéristes, Stéphane Talbot a grandi en assistant ses parents, travaillant la terre et sur la machinerie agricole. Il ne pensait jamais retourner sur une terre un jour, d’autant plus qu’il est devenu ingénieur. « J’en parlais avec ma mère dernièrement. Je lui ai dit : « Regarde ce que je suis en train de faire! » Je crois que j’ai créé pire que ce que j’ai vécu avec mes parents, lance-t-il avec le sourire. Mais je me vois vivre sur cette terre. Ç’a été un bon investissement. »

« Un jour, j’espère vivre confortablement du fruit de cette terre-là. Évidemment, je n’aurai jamais le même rendement que ceux des pays producteurs, mais au moins, ça semble possible de le cultiver ici. Je suis assez fier d’avoir pris ce risque. »