Éditorial. Nos lecteurs-électeurs décideront

Est-ce que nous assistons à un réveil des consciences collectives envers le journalisme? Avec la possibilité de voir six quotidiens disparaître d’un coup au Québec, à la suite des difficultés financières de Capitales Médias, on commencerait à s’interroger à ce que serait un Québec sans journalistes?

Ce seront nos lecteurs–électeurs qui décideront de l’avenir de leur source d’information.

Avant que les journaux Le Soleil, Le Droit, La Tribune, Le Nouvelliste, Le Quotidien, La Voix de l’Est disent – nous n’avons plus d’argent pour vous informer -, que faisait-on pour sauver notre « liberté d’expression », notre « démocratie », comme nous l’entendons aujourd’hui sur de nombreuses tribunes?

On ne va pas commencer à parler de Trump (trop tard, c’est fait), qui a montré la façon à bien des personnalités politiques de dénigrer le travail des journalistes. Ce travail de sape, qui ne date pas d’hier, doit participer au fait que dans les instituts de sondage, le journalisme est souvent en queue de peloton dans les métiers les plus aimés.

Souvenons-nous également du projet de loi 122, une trouvaille du gouvernement Couillard, qui a permis aux municipalités de ne plus être soumises à l’obligation d’afficher les avis publics dans les journaux locaux ou nationaux. À se sujet, rappelons-nous aussi de ce que pensait l’Union des municipalités du Québec, dont les membres représentent plus de 80 % de la population du Québec. Elle indiquait ceci, dans un communiqué diffusé le 14 mars 2017 : « Il est clair que la solution à la survie des médias locaux et régionaux n’est pas une responsabilité qui doit reposer sur l’impôt foncier versé par les citoyens. » Forcément, ce qui devait arriver arriva. Comme il n’y a pas de petites économies, plusieurs villes ont « tiré la plogue » sans se soucier de la survie du média qui véhicule l’information locale. À la place, ces mêmes municipalités demandent à Québec et à Ottawa d’aider la presse écrite à survivre. « Ce n’est pas notre faute, c’est la faute du voisin. » Soyons cependant justes. Beaucoup de municipalités, comme Saint-Bruno-de-Montarville, ont tourné le dos au projet de loi 122 pour cette mesure et continuent de tenter d’informer le plus grand nombre de citoyens de leurs décisions à travers la presse locale. Et ce n’est pas parce que Saint-Bruno souhaite acheter son journal local qu’elle fait ça, mais bien parce qu’elle est consciente que son média est le meilleur support pour diffuser une information qui doit être connue du plus grand nombre. Une question tout simplement de transparence, de démocratie.

Les villes de Carignan, Marieville, Saint-Basile-le-Grand, Sainte-Julie ou encore Saint-Césaire sont les municipalités que nos médias couvrent et qui ont retiré en totalité ou en partie leurs avis publics. Cependant, toutes ces municipalités se disent inquiètes de l’avenir du journalisme. Il est sûr que ce ne sont pas les avis publics qui font vivre la presse, mais ils y contribuent.

Quant à Québec, enfin un gouvernement qui se penche sérieusement sur la question, en espérant que ce n’est pas trop tard pour Capitales Médias! C’était une promesse de campagne du gouvernement Legault et il devrait proposer des solutions globales en septembre pour sortir la presse écrite du marasme. Nous verrons. J’ai appris à voir pour croire, sûrement un défaut professionnel.

L’urgence de la situation n’est pas vue de la même façon par Ottawa. Pour le gouvernement fédéral, les mesures fiscales afin de soutenir les médias sont prises. Près de 600 millions de dollars de crédits d’impôt sur cinq ans. Le problème est que même les critères d’admissibilité ne sont pas encore connus. Et puis les mesures fiscales ne s’appliqueront que l’an prochain. Pas sûr que Capitales Médias ait le temps d’en profiter.

Vous pourrez me dire qu’un journaliste qui défend le journalisme, il n’y a là rien d’exceptionnel, et ce n’est pas ça qui fera changer les choses. En effet, cela fait 15 ans que tous les médias du monde disent que la situation de la presse est de plus en plus difficile, sans pouvoir trouver des solutions au problème.

Ben, alors, qu’est-ce qui fait que ça bougera aujourd’hui?

C’est grâce à vous qui nous lisez de plus en plus. L’intérêt de la population est plus que jamais là, ce sont les revenus publicitaires qui se sont évaporés, engloutis par les Google, Apple, Facebook, Amazon (GAFA). Et plutôt que de soutenir une industrie favorable à la démocratie, les gouvernements préfèrent investir des sommes considérables dans ces géants du Web qui ne sont même pas taxés au Canada. Peut-être que la population en a assez aussi de voir ces pratiques avoir des conséquences sur sa vie « démocratique ».

Une personne engagée est venue aujourd’hui dans mon bureau me disant qu’elle baissait les bras dans ses demandes d’accès à l’information. La municipalité usait de tous les moyens pour ne jamais lui donner des documents, pourtant publics.

En fait, je crois que cet exemple parle de lui-même. Tant qu’une institution nous imposera de passer par une demande d’accès à l’information pour avoir une information publique, les journalistes seront indispensables pour servir leur seul patron, les lecteurs.

Avec les déboires de Capitales Médias, vous, lecteurs, avez dit à vos élus que vous vouliez continuer à être informés localement par des journalistes indépendants. Vous le faites déjà savoir, pour la première fois, en organisant des rassemblements spontanés en soutien à vos journaux locaux. Maintenant, il est temps d’agir et de trouver une solution ensemble.