Fady Dagher prône « une police de concertation » à l’agglomération de Longueuil

Loin du rapport indépendant sur l’interpellation des minorités visibles par le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), qui dresse le constat d’une police montréalaise qui n’a toujours pas cherché et trouvé de solution pour lutter contre les discriminations raciales et sociales, de l’autre bord du Saint-Laurent, côté Rive-Sud, au Service de police de l’agglomération de Longueuil (SPAL), on en est déjà à la phase de l’application de nouvelles pratiques avec Fady Dagher aux commandes.

Il y a deux ans, tous les élus de l’agglomération se sont félicités de l’arrivée à la tête du SPAL de Fady Dagher. Cette nomination était déjà une révolution en soi. Originaire du Liban, ce haut gradé du SPVM au curriculum vitae bien chargé a élaboré la première Politique au Canada en matière de profilage racial et social.

Après à peine deux années de service au SPAL, il proposera sous peu aux maires de l’agglomération ce qui risque de devenir une première mondiale. Faire du SPAL « une police de concertation ».

Une problématique connue

« Il ne faut pas se mettre la tête dans le sable. Le profilage racial ou encore social, cela existe dans la police partout », indique-t-il aux Versants.

Le rapport rendu public en juin du dialogue public sur le SPAL confirme que le problème rencontré à Montréal est aussi vrai dans l’agglomération de Longueuil. Il est possible de lire dans les conclusions d’une enquête d’opinion menée par l’Institut du Nouveau Monde (INM), un organisme indépendant, que sur un total de 788 répondants dans les cinq villes liées, environ 30 % d’entre eux pensent de manière plus ou moins radicale que le SPAL ne traite pas tous les citoyens de la même façon. Certains mettent de l’avant un « profilage racial », d’autres un « profilage social ».

Une police de concertation

Loin d’être sur la défensive après ce constat, le directeur du SPAL voit là un argument supplémentaire pour se lancer dans la transformation du corps policier à Longueuil. « Ce rapport sonne comme de la musique à mes oreilles. Il est important de choisir des acteurs au sein du SPAL qui viennent contaminer de la bonne manière nos pratiques. Il faut créer des passerelles entre la police et les citoyens. Il faut développer une nouvelle façon d’évaluer nos employés. Il faut avoir une approche multidirectionnelle, sur plusieurs fronts, afin de passer d’une police de proximité à une police de concertation. »

Ce n’est pas la première fois que le chef de police parle du changement de direction qu’il souhaite voir dans la police québécoise et qu’il tentera de mettre en place au sein de ses services. En effet, il publiait dans « L’état du Québec 2019 », un document de l’INM proposant l’avis d’experts pour comprendre les enjeux actuels de la province, une lettre sous le titre « Corps policiers : passer de la culture du ‘’ combattant du crime ‘’ à celle de la ‘’ police de concertation’’ ».

« Ce qui est intéressant au Québec, c’est qu’on vit une discrimination à cause de l’indifférence et de la non-connaissance de l’autre. C’est pour cela qu’au Québec, je crois au changement. » – Fady Dagher

L’échec de la police de proximité

Il y dresse le constat de l’échec d’une police de proximité qui coopère avec la population pour réprimer le crime plus efficacement, et prône une vision moderne d’une police de concertation plus basée sur la prévention et les besoins des citoyens et des communautés locales.

« L’approche plus répressive a connu des dérapages où nous avons sombré dans le profilage racial et social envers des personnes et des groupes, comme j’ai pu le subir moi-même en tant que simple citoyen. » C’est pour lui la principale raison de la polarisation des opinions de la population sur la police.

C’est ainsi qu’il souhaite changer les modes d’évaluation des agents. « Les agents sont essentiellement évalués sur des critères techniques, sur leur résultat; je souhaite mettre en place de nouveaux critères plus basés sur la compétence relationnelle, l’ouverture d’esprit. Le SPAL regardera dès 2020 les valeurs d’ouverture de nos employés. Ce seront huit des dix critères d’évaluation qui seront basés sur ces valeurs. C’est une approche très différente de ce qui se fait partout ailleurs au Québec. »

De nouveaux critères de sélection

M. Dagher ne le cache pas, dans le civil, il a vécu de la discrimination. « C’est facile de la vivre, et ce n’est pas propre au corps policier ou au Québec, c’est présent partout dans le monde, dans le milieu économique lorsqu’on se cherche un travail, un logement… Ce qui est intéressant au Québec, c’est qu’on vit une discrimination à cause de l’indifférence et de la non-connaissance de l’autre. C’est pour cela qu’au Québec, je crois au changement. Je rappelle qu’au Québec, j’ai été le premier haut gradé issu des minorités visibles au SPVM et je suis le premier directeur de police. Le rêve et la chance sont donc possibles au Québec. C’est ça que je veux inculquer à mes policiers qui sont eux-mêmes des minorités visibles avec leur uniforme. »

Le directeur aimerait ainsi revoir les critères de sélection des futurs policiers au Québec, pour qu’ils répondent aux besoins de la société du 21 siècle.

Il souhaite mettre fin aux structures policières « paramilitaires actuellement très hiérarchiques. Un dialogue de bas en haut est plus connecté aux réalités de la société. Nous serions ainsi le premier État au monde à passer d’une police de proximité à une police de concertation », conclut-il dans la lettre de « L’État du Québec 2019 ».

Fady Dagher présentera sa vision stratégique détaillée aux maires et mairesses de l’agglomération de Longueuil dans les prochains jours, avec la ferme conviction de commencer à révolutionner les pratiques policières depuis Longueuil.

SPAL

Le SPAL, C’est 657 policiers et 194 employés civils qui assurent la sécurité de 426 379 habitants sur un territoire de 310 km.