Des intervenantes se défendent
Dans la foulée de ce qui est arrivé à la fillette de Granby, plusieurs ont attribué le blâme à la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) pour son inaction ou son incompétence. Toutefois, l’organisme et ses employés se défendent de ces attaques.
Depuis les récents événements à Granby, la DPJ est non seulement dans la mire du gouvernement provincial, qui a demandé une enquête sur le Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) de l’Estrie, mais aussi dans celle du public, qui juge que l’organisme n’a pas fait son travail.
Le directeur de la DPJ de l’Estrie, Alain Trudel, a répété à maintes reprises à la population de rester calme : « Le public nous attribue ce qui s’est passé à Granby, plusieurs se font insulter sur les médias sociaux. » Il dit comprendre les émotions que vivent les gens, mais qu’il ne faut pas tout généraliser.
Afin de faire comprendre leur travail au quotidien et les lacunes de la DPJ, deux intervenantes en protection de la jeunesse ont accepté de témoigner au journal Les Versants de leur version du travail qu’elles accomplissent, bien qu’elles n’étaient pas impliquées de près ou de loin dans ce qui se passe à Granby.
Les deux ont demandé l’anonymat par peur de représailles et de congédiement. Mais leur histoire n’a rien d’unique, elles continuent de dire ce que plusieurs de leurs collègues ont déjà affirmé dans les médias, aussi sous le couvert de l’anonymat.
Trop de travail, pas assez de temps
Selon Jacinthe*, intervenante au CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal et résidante de Saint-Hubert, plusieurs facteurs font en sorte qu’elle ne peut pas réaliser tout le travail comme elle le souhaiterait, à commencer par le manque de ressources. Elle révèle que la charge de travail est déjà élevée à la base, mais qu’il manque de plus en plus d’employés, car plusieurs n’en peuvent plus de leur rythme de travail ou partent en congé de maladie. « Le nombre de dossiers ne fait qu’augmenter, j’en suis à plus d’une trentaine, alors essayez de rencontrer 30 familles en 35 heures et de bien faire votre travail. Et ça, c’est sans le temps passé sur la paperasse ou en cour. »
« On essaie de faire du mieux qu’on peut, d’exercer notre jugement le mieux possible, mais avec aussi peu de temps passé auprès des familles, c’est seulement gratter la surface. » – Gabrielle*
« On essaie de faire du mieux qu’on peut, d’exercer notre jugement le mieux possible, mais avec aussi peu de temps passé auprès des familles, c’est seulement gratter la surface, corrobore Gabrielle*, intervenante de la DPJ au CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal. On le sait et on vit avec le remords, en espérant qu’il n’arrive rien d’aussi grave qu’à Granby. »
Les intervenantes de la DPJ sont d’accord pour admettre qu’il n’y a pas assez d’heures dans une semaine pour s’investir en profondeur dans chaque dossier, mais qu’il y a aussi le manque crucial de financement de même que le manque d’équipement, qui sont à la base de leurs problèmes d’efficacité.
Autre chose qu’il faut savoir, les intervenants de la DPJ n’ont pas toujours le dernier mot sur les dossiers de la jeunesse. Dans les cas qui se rendent en cour, c’est le juge qui décide. Par exemple, dans le cas de la petite fille de Granby, la juge a décidé d’accepter de remettre la garde de l’enfant à son père considérant que la grand-mère en faisait trop pour le faire mal paraître aux yeux de la cour, notamment avec des plaintes qui n’ont pas été retenues.
« Ce n’est pas nous qui décidons qui va où. Il y a des décisions qui ne nous plaisent pas, mais on n’a pas le choix de les respecter », souligne Gabrielle.
Une réforme échouée
D’après Jacinthe, la réforme de l’ancien ministre de la Santé, Gaétan Barrette, a empiré la situation, qui n’était pas parfaite non plus avant : « Depuis la réforme, les coupes, les fusions des DPJ dans les CIUSSS, etc., c’est pire, c’est sûr, on veut toujours plus de performance, mais on a moins de ressources et la bureaucratie est plus lourde. »
Pour les intervenantes, les solutions aux problèmes des DPJ remontent au gouvernement, mais elles espèrent que ces solutions seront pour le moins basées sur les réalités du milieu. « On comprend qu’on est la première ligne pour protéger ces enfants, mais on a besoin d’aide, car on ne fournit pas, il faut rediriger la colère des gens envers les instances qui nous privent de notre pouvoir d’intervention », d’ajouter Jacinthe.
*Nom fictif
Question aux lecteurs : Faites-vous porter le blâme à la DPJ pour ce qui s’est passé?