CHRONIQUE
Avons-nous de bonnes raisons d’accueillir des réfugiés?
La question des réfugiés est d’actualité. Combien de fois en avons-nous vu, chassés de leur pays par la guerre ou par les exactions des régimes politiques, parfois isolés, parfois voyageant en groupe, souvent dans les conditions les plus précaires? Pourquoi les accueillerions-nous et faut-il le faire?
Dans cet article, nous examinerons deux motivations, l’une de nature personnelle, la compassion individuelle, l’autre de nature générale, notre intérêt collectif en tant que société ou en tant que pays.
La compassion est ce sentiment que nous ressentons comme individu, par lequel nous percevons la souffrance d’autrui et sommes poussés à y remédier. Notre compassion s’est exprimée à la vue d’images de ces réfugiés de la mer en provenance du Moyen-Orient, essayant d’atteindre d’autres rivages dans des embarcations de fortune, parfois échouant dans des conditions dramatiques. Avec l’aide des médias sociaux, la compassion peut s’amplifier et devenir collective, par exemple à la vue d’un enfant mort sur une plage. La compassion peut se matérialiser sous forme d’actions individuelles ou collectives de nature humanitaire, mais tout aussi rapidement disparaître. Nous croyons qu’à long terme, l’intérêt est un facteur beaucoup plus efficace.
Quel est notre intérêt à accueillir des réfugiés? Nous appuyant sur des exemples historiques, nous pensons qu’il est bénéfique à long terme de le faire. Citons deux exemples qui appartiennent à l’histoire.
1492… Cette année-là, Christophe Colomb découvre le Nouveau Monde. À cette date aussi, les derniers royaumes musulmans établis en Espagne sont chassés du pays par les souverains espagnols, et avec eux, toute une population juive sépharade établie depuis des siècles. Ces émigrés, ostracisés, souvent expulsés dans des conditions économiquement désastreuses et sans respect de leurs droits, doivent rapidement quitter l’Espagne, parfois en quelques jours. Où se retrouvent-ils? Tout autour du bassin méditerranéen, et particulièrement dans un pays dont on n’attendait pas qu’il leur offre un asile : la Turquie, centre de l’Empire ottoman, alors gouvernée par le sultan musulman Bajazet, qui accueille (selon les estimations de l’époque) quelque 200 000 juifs. Bajazet s’étonne du cadeau extraordinaire que lui font les souverains catholiques d’Espagne : une population éduquée, travailleuse, industrieuse, inventive… Il est clair que, malgré les différences religieuses, l’Empire ottoman a largement profité de cet apport de réfugiés. Le chef d’État ottoman a su comprendre quel était l’intérêt de son pays et ne s’est pas trompé.
1685… Un autre contexte : le royaume de France vit une relative paix religieuse. Par l’édit de Nantes, le souverain de l’époque, Louis XIV, établit une tolérance religieuse au bénéfice à la fois des catholiques et des protestants. Toutefois, sous la pression des éléments intégristes de son entourage, le roi révoque l’édit de Nantes le 17 octobre 1685. Pour les protestants, c’est le drame. Persécutés, ne pouvant librement pratiquer leur religion, un nombre considérable d’entre eux s’enfuient et rejoignent les pays avoisinants, souvent dans des conditions périlleuses. Ils sont accueillis en Hollande, en Allemagne, en Suisse et ailleurs en Europe. Plus tard, leurs descendants se retrouveront en Afrique du Sud. Pour le pays d’origine, c’était un appauvrissement incontestable, pour les pays d’accueil, un enrichissement considérable. Citons deux noms contemporains, descendants des émigrés de 1685 : Lothar de Maizière et Thomas de Maizière, tous deux cousins, d’une lignée issue de Maizière-les-Metz dans le nord de la France. Le premier était en 1990 le premier ministre démocratiquement élu de la RDA (l’ancienne Allemagne de l’Est). Le second est présentement ministre dans le cabinet de la chancelière Angela Merkel. Deux illustrations qui montrent l’intérêt à long terme pour un pays d’accueillir des réfugiés qui ont su s’adapter à leur nouveau pays. Il en est de nombreux autres exemples.
Dans le présent contexte, faut-il recevoir les réfugiés du Moyen-Orient et d’Afrique? Nul n’est devin ni prophète… La question des réfugiés n’est ni transitoire, ni une mode passagère, et nous pensons qu’il est de l’intérêt à long terme pour notre pays de faire ce choix de les accueillir. Ils sauront s’adapter et contribuer à notre société. Nous ne le regretterons pas.
François Dufour
