Autochtones Lives Matter
Frédéric Khalkhal, directeur de l’information du journal Les Versants
Comment imaginer la réalité d’une personne ou d’une communauté si on ne la vit pas? Vous vous rappelez sûrement la vidéo de ce policier américain avec le genou appuyé sur la nuque de George Floyd, pendant neuf longues minutes, alors que celui-ci suffoquait. Et cette vidéo qui montrait un policier américain tirer sept fois dans le dos de Jacob Blake, aussi un citoyen américain de couleur vivant dans le Wisconsin. Ces dérapages ont entraîné de nombreux soutiens à la communauté noire américaine. La NBA, la NFL et même la très blanche LNH se sont entendues pour repousser leurs rencontres afin de soutenir le mouvement Black Live Matters (les vies noires comptent), un mouvement qui existe depuis 2013. Eh oui, le problème des Afro-Américains ne date pas d’hier, mais ça, vous le savez.
Changeons de pays et venons au Canada. Rapprochons-nous encore un peu et arrivons au Québec. Rappelons-nous les événements de Val-d’Or, il n’y a pas si longtemps. En 2015, l’émission Enquête dévoilait des témoignages de femmes autochtones à glacer le sang. « On allait dans un chemin dans le bois et là, ils me demandaient de leur faire une fellation. […] Ils me payaient chacun 200 $. Cent piastres pour le service, cent piastres pour que je ferme ma gueule » pouvait-on entendre comme témoignage dans le reportage. En 2019, Édith Cloutier, directrice générale du Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or, indiquait à La Presse que les femmes autochtones, quatre ans après, avaient encore peur de la SQ.
Le lundi 29 septembre 2020, c’est une mère de famille de sept enfants qui mourrait en direct sur les réseaux sociaux, attachée à sa civière, sous les insultes non pas d’un policier mais d’une infirmière au sein même d’un hôpital, celui de Joliette. Joyce Echaquan, avant de tomber dans une détresse occasionnant sa mort, avait visiblement peur, non pas d’apprendre une mauvaise nouvelle sur son état de santé, mais peur d’être à l’hôpital de Joliette.
Posons-nous la question. En allant à l’hôpital, avons-nous le réflexe de nous filmer attaché à une civière en train d’agoniser? Poser la question, c’est y répondre. Personnellement, la seule fois que j’ai filmé dans un hôpital avec mon téléphone, c’est pour croquer un moment plutôt joyeux avec ma fille, qui trouvait ça bien drôle d’être en jaquette avant de se faire ausculter. Je me souviens d’avoir été rassuré au moment de voir arriver le personnel soignant. Mon premier geste a sûrement été de ranger mon téléphone.
Mme Echaquan semblait pourtant prête à filmer au cas où il se passerait quelque chose sachant, peut-être par habitude, qu’en franchissant les portes de cet hôpital, elle serait en danger. Je relis ces dernières phrases et je n’arrive pas encore à croire ce que je viens d’écrire. Et quand Reginald Echaquan, le cousin de la victime, indique au Journal de Montréal que « Moi, j’ai perdu dans les mêmes circonstances ma mère, mon père, mon grand-père, ma grand-mère et des cousins dans cet hôpital »…
Il y a un an, la mission était donnée à Jacques Viens, dans son rapport sous le titre Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics : écoute, réconciliation et progrès, de mettre en lumière tout ce que l’on voulait se cacher. Ce qui en a découlé, c’est qu’il y avait au Québec un racisme systémique à l’encontre des Autochtones. Un an après, ça continue.
Quoi penser? La vie des Autochtones ne compte pas, même dans les hôpitaux du Québec? Saint-Thomas, qui voulait voir pour croire, s’en retournerait dans sa tombe. Le pire, c’est de se poser la question à savoir si cette vidéo pourra vraiment changer les choses envers la population autochtone. Je rêve d’un mouvement Black Live Matters qui serait soutenu par une majorité écrasante d’Américains, comme d’un mouvement Les vies autochtones comptent qui verrait le jour et qu’une majorité écrasante de Québécois encouragerait.
Malheureusement, il ne suffit plus aujourd’hui de voir pour croire. Tout n’est que complot pour plusieurs. Tout a une explication justifiant l’injustifiable pour certains.
Oui, le racisme existe et semble de plus en plus visible dans notre société, au Québec, au Canada et partout dans le monde. Les gens n’ont même plus peur de le dire ouvertement aux États-Unis. Ils sont même protégés par leur président. Mais n’oublions pas une chose, les États-Unis, c’est la porte à côté.