« Pour protéger nos enfants »

Le journal s’est entretenu avec Mélissa Canseliet, autrice de Génération écrans – Mieux comprendre pour mieux protéger nos enfants et nos ados. Résidente de Saint-Basile-le-Grand, Mme Canseliet est experte en neurosciences, cyberpsychologie et numérique responsable. Conférencière, chroniqueuse et entrepreneure, elle accompagne les organisations et les institutions dans les usages numériques depuis plus de 13 ans.

À qui s’adresse Génération écrans?

Au départ, cela s’adresse aux familles et aux accompagnants de jeunes. Et quand je parle de jeunes, il s’agit des bébés, des enfants, des ados et même au-delà. Malheureusement, les gens ne réalisent pas vraiment que le cerveau n’est mature qu’après 25 ans. Les pièges de la technologie ciblent les personnes vulnérables avant cet âge. Elle nous vise déjà, nous, en tant qu’adultes.

Est-il possible de lutter contre du temps d’écran?

Je fais l’analogie avec l’alimentation. Le temps d’écran, c’est comme de la nourriture. On peut en consommer moins, mais tous les aliments ne se valent pas non plus. Tout comme le numérique, tous les temps d’écran ne se valent pas, même s’ils peuvent être addictifs. Je peux passer huit heures sur mon ordinateur à travailler dans la journée, ce n’est pas pour autant que je deviens totalement abrutie, du moins, je l’espère. Dans le livre, par exemple, j’explique qu’il vaut mieux regarder un film comme Harry Potter pendant deux heures et demie que de passer trente minutes en roue libre sur YouTube. Le cerveau n’est pas du tout soumis à la même expérience. Dans un cas, on a un contenu encadré : la limite entre la réalité et la fiction est claire. Dans l’autre, l’attention est fragmentée, il y a de la publicité, la frontière entre réalité et fiction est beaucoup plus floue, il y a de la désinformation, et un algorithme nous entraîne vers des contenus de plus en plus extrêmes.

Interdire les téléphones à l’école, est-ce une bonne mesure?

J’appuie la chose, mais d’une manière nuancée. Je comprends que l’on veuille éloigner les gens du feu, mais je ne pense pas que cela serve à l’éteindre pour autant. Interdire les cellulaires dans les classes, bien sûr, dans les écoles, d’accord. Mais le temps que l’on met à interdire devrait aussi être utilisé pour préparer les jeunes au numérique. Parce que, dans l’idéal, il ne faudrait pas interdire : il faudrait que l’on ait une jeunesse préparée au numérique, capable de l’utiliser de manière éclairée. C’est cette approche qui me semble la plus salutaire, parce que la technologie est déjà, de toute façon, au cœur du monde d’aujourd’hui, et elle le sera encore davantage dans le monde de demain. C’est aussi à cela que l’on doit préparer la jeunesse. Je ne parle pas seulement des réseaux sociaux : il est aussi important d’avoir des repères sur l’intelligence artificielle, par exemple. Ne pas préparer les jeunes à la vie numérique, c’est manquer à les préparer à la vie citoyenne.

Quelles sont les solutions que vous proposez?

On est vraiment dans le marché de l’attention, et même de l’émotion. C’est comme ça qu’ils vont être accrochés à l’expérience, au-delà même des interruptions constantes provoquées par des notifications qui apparaissent tout le temps. Il existe même un véritable marché de l’indignation, dont profite la désinformation et dont certaines personnes ont tout intérêt à ce qu’elle circule. Mais à partir du moment où l’on comprend ces mécanismes, on peut se réapproprier sa liberté intellectuelle, et c’est justement de cela que parle le livre. Il était temps d’expliquer les mécaniques du cerveau. À partir du moment où l’on comprend les contours d’un problème, il devient plus facile d’en trouver la solution. Le cœur du problème numérique se trouve dans le cerveau, et il était temps de le révéler.

N’y a-t-il pas une fracture numérique entre les adultes et les plus jeunes?

Les pièges numériques dont sont victimes les jeunes sont les mêmes que ceux des adultes.

Sauf que nous, les adultes, avons eu la chance de développer notre cerveau avant d’être plongés dans la technologie. La pensée critique, qui est une fonction cognitive se développant autour de 25 ans, s’est construite chez les générations d’accompagnants avant que nous soyons immergés dans l’univers numérique. Ce n’est malheureusement pas le cas de la jeunesse, et oui, cela peut créer un décalage et une incompréhension que le livre vise à contourner.

Néanmoins, il faut aussi comprendre que les interfaces, de plus en plus intuitives et qui donnent l’illusion de la maîtrise, ne garantissent pas pour autant une réelle compréhension, même chez les adultes. Nous vivons, par exemple, la comparaison sociale sur les réseaux. C’est aussi un appel à l’introspection, qui nous permet de nous rapprocher de cette génération, car c’est à travers cette compréhension que l’on pourra rétablir le dialogue.

Qu’aimeriez-vous que les lecteurs retiennent de leur lecture?

Un appel à la tolérance. À la compréhension des limites du cerveau et de ses pièges. J’aimerais qu’un lecteur mette concrètement en pratique le fait d’éteindre ses applications de réseaux sociaux, par exemple. Il n’y a aucune urgence à savoir qu’un tel a commenté. Laisser le téléphone ailleurs que sur la table pendant le repas. La technoférence, ces interférences de la technologie, ne doit pas nuire aux moments de qualité. J’espère que les lectrices et les lecteurs pourront, par ce biais, se reconnecter un peu plus à eux-mêmes, que ce soit au sein de la famille, entre amis, et réapprendre à dialoguer.

Génération écrans, aux éditions Michel Lafon Québec