Mme Hanna Daniel

Mme Hanna Csoka Daniel célébrait, le premier juillet, son 93e anniversaire de naissance. Originaire de Hongrie, elle a connu la Deuxième Guerre mondiale et, plus tard, elle est venue avec sa famille s’établir au Canada. En 2001, elle et son mari ont choisi finalement de vivre à Saint-Bruno. Munie d’une maîtrise en génie mécanique, elle a été ingénieure en chef des ministères des Travaux publics et des Affaires sociales, au Québec. À ce titre, elle s’occupait de la construction de tous les édifices gouvernementaux. N’eût été son intervention musclée, à l’époque, nos chambres d’hôpitaux et de centres d’accueil auraient été plus petites que celles des prisons. Un débat épique! Un modèle à suivre!

(Rédigé en collaboration avec la Société d’histoire de Montarville)

Madame Daniel naît en Hongrie en 1919. Son père est architecte et sa mère, professeure. Elle épouse, en 1943, Balazs (Blaise) Daniel, descendant d’une ancienne famille aristocrate hongroise, portant le titre de baron. M. et Mme Daniel sont ingénieurs en mécanique. Ils ont trois enfants nés à Budapest : Hannelore (Hanni), en 1944, Eugène, en 1947, et Beata, une deuxième fille, en 1956.

Souvenirs de guerre

Madame Daniel n’aime pas parler de la guerre et des années sous l’occupation des Soviets, jusqu’à leur fuite, en 1956. Sa fille Hanni, qui participe à l’entrevue, raconte quelques anecdotes : « Pendant la guerre, quand il y avait une alerte à cause des bombardements, les gens devaient descendre par l’escalier dans les abris. Pauvre maman, elle descendait avec moi dans les bras, j’étais bébé naissant! Et elle lavait les couches avec de la neige fondue. »

Le 3 décembre 1956, il y a rumeur que les ingénieurs seront arrêtés pour être emprisonnés et même exécutés. C’est la fuite. M. Daniel et son épouse, avec le bébé dans les bras, vont chercher Hanni et Eugène à la sortie de l’école et, sans bagages, ils se dirigent vers l’Ouest, marchant de longues heures durant la nuit. Une traversée très pénible. Deux jeunes soldats hongrois les aident à passer en Autriche. Le 13 décembre, beaucoup d’ingénieurs sont effectivement exécutés. À travers plusieurs péripéties douloureuses, ils peuvent, grâce au frère de Mme Daniel qui est déjà au Canada, prendre un bateau en Allemagne vers Halifax, où ils arriveront le 8 janvier 1957. De toutes ces souffrances, madame Daniel n’aime pas se souvenir. « On a survécu, c’est ce qui compte », rationalise-t-elle en faisant de ses deux bras un geste de rejet vers l’arrière.

L’arrivée au Canada

La famille s’installe tout d’abord en Ontario, à Niagara Falls. Après quatre ans, M. Daniel sera transféré à Québec par la Dynamic Industries. Il est ingénieur en chef dans les usines où on construit les tours d’Hydro-Québec. L’année suivante, en 1962, Mme Daniel vient le rejoindre et à partir de cette année jusqu’en 1982, année de la retraite, elle travaillera pour le gouvernement du Québec, tout d’abord au ministère des Travaux publics et ensuite à celui des Affaires sociales. Dans les deux ministères, elle sera ingénieure en chef et, comme telle, elle supervisera la construction de tous les édifices gouvernementaux.

Point crucial de sa carrière

À cette époque, son travail l’amène à voyager beaucoup à travers le Québec. En plus d’y connaître des défis professionnels importants, elle vivra un point crucial de sa carrière. Elle raconte : « Les architectes voulaient faire les chambres des hôpitaux et des centres d’accueil plus petites que celles des prisons. Les lits devaient même être collés au mur. » Encore avec passion, elle explique : « Comme femme, je me suis insurgée, j’ai même mis ma position en péril. J’ai écrit une lettre au ministre des Affaires sociales, M. Denis Lazure, pour lui expliquer le non-sens  de ce choix et j’ai envoyé 150 lettres à travers le ministère. Vous savez, travailler contre un paquet d’hommes, ce n’était pas facile, mais j’ai gagné », dit-elle avec fierté. « Ma mère, commente Hanni, s’est ainsi mise en état de précarité à plusieurs reprises, allant même en cour. C’était une bagarreuse. » Une femme s’imposer de la sorte à cette époque représentait tout un exploit.

En 1982, elle et son mari prennent leur retraite. Leur fille aînée, Hanni, résidant à Saint-Bruno depuis 1976, ils emménagent ici. Ils achètent aussi une Westfalia et voyagent à travers toute l’Amérique, passant cinq mois par année en Floride. Après cinq ans, pour des raisons familiales, ils déménagent en Alberta, où habite leur fille, Beata, qui est agronome. Ce sera six mois en Alberta et encore six autres sur la route et en Floride. Plus tard, Beata déménage en Nouvelle-Écosse et eux, reviennent à Saint-Bruno, en 2001, où ils achètent un condo. Après avoir habité longtemps aux États-Unis, leur fils Eugène, également ingénieur, réside maintenant à Joliette avec son épouse et leur fils.

Hanna et Balazs sont de très grands sportifs, « une routine féroce », commente Hanni. Jogging tous les jours, bicyclette, natation. Le couple est aussi maître de bridge. Hélas, Balazs décède en 2002. « Il me manque encore, confie-t-elle, nous avons été mariés pendant 59 ans, nous étions de bons amis. » En 2003, madame Daniel reçoit une reconnaissance qui marque le 50e anniversaire de la réception de sa maîtrise en génie mécanique, de l’Université de Budapest.

La rencontre se termine sur diverses considérations. « J’ai suivi toute l’évolution de la société québécoise, révèle Mme Hanna, c’était très intéressant. » Parlant d’un avantage de la Révolution tranquille, elle dit : « Il y a maintenant plus de gens éduqués. » En terminant, elle affirmera : « J’ai aimé tout ce que j’ai fait. Et on se souvient seulement des beaux moments, le reste, on l’oublie », ponctuant ses propos du geste de ses deux bras vers l’arrière. Une leçon à retenir…