La Ferme florale et la famille Bisaillon

Mémoires

En septembre dernier, la Ferme florale (Botanix) fermait ses portes. Chez les amateurs d’horticulture, c’était la consternation. Elle était là depuis 60 ans! Dès l’arrivée du printemps, les clients se précipitaient « chez Bisaillon », comme disaient familièrement les anciens, certains d’y trouver ce dont ils avaient rêvé tout l’hiver, le tout accompagné des précieux conseils pour la culture. Les frères André, Jacques et Jean Bisaillon ont bien voulu nous en raconter l’histoire, qui est, en même temps, l’histoire de leur vie.

Pourquoi la Ferme florale Botanix a-t-elle fermé ses portes? Les trois frères expliquent qu’il y a plusieurs raisons : « Le contexte économique actuel qui a frappé durement l’horticulture en Amérique du Nord », précise André. Ils avouent aussi que la fermeture de leur entrée sur la route 116, par le ministère des Transports et par la ville de Saint-Bruno, presque sans avis préalable, a donné un dur coup à l’entreprise. Et aussi, les goûts ont changé, constatent-ils. « L’horticulture n’est plus le loisir numéro un des familles », constate Jacques, sans amertume. « Nous sommes maintenant rendus à la gare », conclut Jean. Les trois avouent être sereins face à la situation. Ils annoncent que le terrain, zoné « blanc » depuis nombre d’années, sera vendu pour de la construction résidentielle.

Adélard Bisaillon

Le fondateur de la Ferme florale, Adélard Bisaillon, naît au Québec, mais il déménage très jeune avec sa famille aux États-Unis. Il fait ses études en horticulture à l’Université Cornell et travaille, par la suite, au Jardin botanique de New York. C’est là que le frère Marie-Victorin ira le chercher. Il devient horticulteur en chef des serres de production et d’exposition du Jardin botanique de Montréal et il enseignera également à l’École d’horticulture.

En 1945, Adélard achète, à Saint-Bruno, un terrain d’environ 17 acres d’Armand Jetté. L’année suivante, il construit une maison, une serre, un atelier de travail et un hangar pour son père, Alfred. La serre, qui mesure 100 pieds par 25 pieds, occupera les loisirs de son père ainsi que les siens. Adélard ne se doute pas qu’il vient de poser la première pierre d’une entreprise qui deviendra florissante et fera vivre toute la famille. En 1947, il y construit la maison familiale où lui et son épouse, Yolande, élèveront leurs six enfants : André, Jacques, Roger, Hélène, Jean et Michelle. À Saint-Bruno, Adélard Bisaillon sera président de la Chambre de commerce. De plus, en 1957, avec Arthur O’Donoghue, il fonde la Société d’horticulture et d’écologie de Saint-Bruno. La Ferme florale entretiendra toujours un lien privilégié avec la SHESB.

Les trois frères : André, Jacques et Jean

Les trois frères affirment : « Nous sommes tombés dans l’horticulture tout jeunes ». Pour les occuper, leur père a dit : « Je vais vous montrer à faire des boutures ». Et ils ont continué. Les jeunes travaillent aussi sous la supervision du grand-père Alfred. Jacques dira : « Il ne parlait pas fort, mais par son ton, tu ne pouvais pas dire non ». André se souvient de leur grand-mère : « Elle riait tout le temps, on l’appelait « le grand manitou ». Elle nous payait pour le travail, mais déduisait le temps que nous avions passé à jouer! » Les trois fils d’Adélard se souviennent d’en avoir « brassé de la terre ». Vers la fin des années 40, dans la serre de 2 500 pieds carrés, ils cultivent des potées fleuries diverses, des annuelles, des hydrangées, des fleurs à être coupées. Les vivaces se cultivent à l’extérieur. Les prix font sourire : les potées fleuries se détaillent à 50 cents chacune! Ils vendent leurs produits au marché Atwater.

Ils travaillent beaucoup. « Mais notre mère aussi », insiste Jean. En plus de préparer les repas pour sa famille, elle accueille les étudiants que son mari amène les fins de semaine pour les aider. Elle participe également aux travaux dans la serre. Les grands-parents font de même.

Quand le moment vient de se choisir un métier, c’est vers l’horticulture que deux des jeunes Bisaillon se dirigent. André se souvient avoir écrit sur une porte de la serre : « André Bisaillon, 3e année, horticulteur ». Jamais il n’a pensé faire autre chose. Il étudiera l’horticulture à l’Université de Guelph, en Ontario. Jacques, quant à lui, se dirigera vers le Jardin botanique de New York et Jean choisit, au début, la fleuristerie, qu’il apprendra dans un cours intensif à Chicago. Leur frère Roger se dirige aussi vers le même métier. Les études terminées, un à un, ils reviennent à la Ferme florale.

Le développement de l’entreprise

Après le départ d’Adélard, André devient président, Jacques, vice-président et Jean, secrétaire-trésorier. Ils ont chacun leur secteur dans l’entreprise. De plus, Hélène s’occupe de la comptabilité. Roger et Michelle seront à la fleuristerie pour un certain temps. Ils sauront tirer profit de ce bel héritage et faire « fleurir » l’entreprise.

Au début, la clientèle de Saint-Bruno est anglophone. Mais les années 60 voient venir des francophones, et un engouement pour l’horticulture se développe. Au fur et à mesure des besoins, on agrandit. En 1965, trois serres seront construites, une serre-magasin et deux ombrières. En 1978, c’est la construction du magasin. En 1981, une serre de plantes tropicales et de potées fleuries est ajoutée. L’année 1986 marque d’importants changements. C’est la démolition d’une grande surface pour faire place à un terrain de stationnement et à un jardin abrité de 15 000 pi2. Ces gros travaux donneront le rendement espéré.

André, Jacques et Jean voient l’heure de la retraite approcher. En 2006-2007, tout en demeurant propriétaires de l’entreprise, ils en cèdent la gérance à Étienne Bisaillon, fils d’André, et à un ami horticulteur, Michel Aubé. Avec l’équipe, ils travaillent en y mettant beaucoup de passion. En 2009, la Ferme florale (Botanix) est le pre
mier centre horticole au Québec, et la première entreprise à Saint-Bruno à mériter la plus haute distinction de Recyc-Québec.

De bons souvenirs, affirment-ils. « Une belle vie, mais une vie exigeante, précise Jean. » Si les jardins de Saint-Bruno ont la réputation d’être si beaux, la Ferme florale y est indéniablement pour quelque chose.