La démagogie, ça suffit

Gérard Filion naquit à L’Isle-Verte, en 1909, et décéda à Saint-Bruno-de-Montarville, en 2005. Sa vie s’inscrit dans la traversée d’un siècle où il a été un acteur important. Toutes les fonctions qu’il a occupées et exécutées avec sa vision claire et son franc-parler ont fait qu’il a marqué le Québec d’après-guerre et qu’il est cité comme un personnage clé de la Révolution tranquille.

Gérard Filion est le dernier des 17 enfants d’Alfred Filion, cultivateur, et de Philomène Simard. La société rurale de L’Isle-Verte, où il a passé son enfance, l’a façonné et il demeurera un homme de la terre. Dans ses mémoires, intitulées Fais ce que peux, il écrit : « Quand j’en sortirai, je serai presque devenu un homme. Je m’adapterai, mais je ne changerai pas. »

En 1937, il épouse Françoise Servêtre avec qui il aura neuf enfants. En 1945, la famille s’installe à Saint-Bruno. Il y vivra jusqu’à son décès, en 2005. En entrevue, deux de ses fils, Pierre et Marcel, diront de l’enfance de leur père : « Il a été choyé et il était le plus instruit de tous. » Ils racontent que leur père a quitté l’école du rang à l’âge de 13 ans pour entrer au Séminaire de Rimouski afin d’entreprendre son cours classique, après quoi il obtiendra un baccalauréat ès arts, en 1931. « Sur les trente élèves qui ont obtenu leur diplôme, racontent ses fils, il était le seul à ne pas embrasser la prêtrise! » Le jeune homme se dirige ensuite vers l’École des hautes études commerciales (HEC), à Montréal. En 1934, il obtient une licence en sciences commerciales.

Ses études terminées, il entre, l’année suivante, à l’Union catholique des cultivateurs (UCC, ancêtre de l’UPA). Au bout de trois mois, il devient le rédacteur de La Terre de chez nous, organe du mouvement. Et, de 1937 à 1947, il en sera le secrétaire général et l’UCC connaîtra un  net progrès. Dans ses mémoires, concernant l’état de l’organisme au moment de son départ, il écrit : « Au secrétariat général, les effectifs sont passés de six à une centaine, en incluant les services d’assurance. »

La première fois qu’on lui propose le poste de directeur du Devoir, en 1945, il refuse. Il aime son travail à l’UCC. Deux ans plus tard, en dépit du bilan financier peu reluisant du journal, il accepte et il y demeurera jusqu’en 1963. Dès son arrivée, il va chercher André Laurendeau. « Le duo d’enfer est à pied d’œuvre », écrira le journaliste Gilles Lesage dans Le Devoir du 9 janvier 2010. Gérard Filion tient au principe d’indépendance fondamentale du journal et la devise est « Fais ce que dois». Le titre de ses mémoires, « Fais ce que peux », se veut un écho à cette devise.

Voici quelques exemples des grands dossiers traités par Le Devoir au cours de son mandat, pendant lequel il a écrit quelque 3 000 articles. Il défend l’autonomie du Québec en revendiquant  auprès du gouvernement fédéral « l’impérieuse nécessité de reconquérir les prérogatives cédées à la faveur de la guerre », a écrit Gilles Lesage. Et ce sera la guerre ouverte contre le régime de Duplessis. Entre autres, le journal prendra fait et cause, dans les conflits sociaux, pour les travailleurs contre Duplessis et sa police provinciale. À Montréal, il dénonce toutes les irrégularités de la police municipale, où la pègre règne. Par la suite, le jeune avocat Jean Drapeau sera porté à la mairie de Montréal, en 1954…

Dans ses mémoires, en conclusion de ses seize années à la direction du Devoir, Gérard Filion écrit : « De cette étape importante de ma vie, il me reste quelques satisfactions : d’abord la conviction d’avoir fait prendre au journal un virage idéologique important, une sorte de révolution tranquille avant la lettre. Au plan administratif, j’ai la certitude d’avoir sauvé l’institution de la faillite… » Gérard Filion cite également l’étude du professeur Michael D. Behiels, Prelude to Quebec’s Quiet Revolution, où ce dernier place Le Devoir en première ligne du combat pour le passage du Québec à une société moderne, mentionnant abondamment André Laurendeau et Gérard Filion.

C’est en janvier 1963 qu’il est nommé directeur général de la Société générale de financement (SGF), nouvellement créée par une loi du Parlement, dans la vague de la Révolution tranquille. Dans un article publié dans Le Devoir du 10 avril 2010, Robert Dutrisac la décrit ainsi : « (C’) était, à l’origine, une société mixte qui agissait comme une banque d’affaires en prenant des participations dans des entreprises, mais aussi en leur accordant des prêts. »

Suivant le slogan « Maîtres chez nous », le gouvernement Lesage fonde, en 1964, Sidbec, dont le but principal est de transformer chez nous le minerai de fer de la Côte-Nord, au lieu de l’exporter aux États-Unis pour procéder à son extraction. Gérard Filion est à la SGF depuis à peine deux ans quand on lui offre la présidence de Sidbec. Il partagera son temps entre la SGF et Sidbec, jusqu’en 1966.

En avril 1966, le président de Marine Industrie, Ludger Simard, décède et le conseil d’administration propose la présidence de l’entreprise à Gérard Filion. Il en sera donc le président-directeur général jusqu’en 1974, alors qu’il prend sa retraite. Quand il quitte la compagnie, elle se trouve dans une situation financière avantageuse, sans dette à long terme et avec un fonds de roulement confortable, écrit-il dans ses mémoires.

(À suivre) – Installé à Saint-Bruno depuis à peine deux ans, et au Devoir, comme directeur, depuis peu, il reçoit par la poste un pli cacheté…

 

Sources

Fais ce que peux, en guise de mémoires, par Gérard Filion

« De 1947 à 1956 – Fais ce que peux Et sévit le duo d’enfer, Filion et Laurendeau», par Gilles Lesage, Le Devoir, 9 janvier 2010.