Grisou et le major

Par un beau soir d’été, M. Plante se promène dans son jardin à Saint-Bruno, admirant ses fleurs, identifiant les travaux à exécuter le lendemain, quand, tout à coup, il aperçoit au pied de l’un de ses deux gros pins, une petite boule de poil. Stupéfaction. Interrogation. Est-ce un poulet en direction du St-Hubert BBQ tombé d’un camion? À y regarder de près… non, ce n’est pas un poulet, mais une sorte d’oiseau. Ainsi commence, le 20 juin dernier, l’aventure du major à la retraite Jean-Guy Plante, et de cette petite bête qu’il nommera Grisou.

Intrigué par sa découverte, M. Plante prend une photo et l’envoie à son fils Guy, qui connaît un peu les oiseaux de proie. Il l’identifie comme étant un faucon. Mais d’où vient-il? Probablement tombé du nid. Pendant quelques jours, le major retraité observe la mignonne petite boule de poil blanchâtre qui commence à se déplacer. Il filmera tout. Le 23 juin, il lui donne un peu de steak haché; l’oiseau le mangera, mais non sous ses yeux. Le protecteur approchera un boyau d’arrosage pour qu’il puisse s’abreuver. Le lendemain, c’est un morceau de steak que l’oiseau recevra, avec du saumon et du fromage. « Si tu meurs, tu mourras pas de faim ici, c’est certain. J’ai assez vu mourir de personnes et d’animaux au Rwanda », dit-il. Mais seulement la viande intéresse l’oisillon, qu’il nommera Grisou. C’est le début de la relation. Les deux commencent à s’apprivoiser.

Un jeu de cache-cache s’installe. L’oiseau se déplace selon la température, il sautille du pied du pin à la haie de cèdres non loin et, quand il pleut, il s’installe sous les larges feuilles d’un tout petit chêne, qui lui font un parapluie. Soir et matin, l’oiseau crie très fort et ses parents viennent le nourrir. « C’est un geste d’amour de la part de ceux-ci », commente son protecteur.

Au début de la semaine, suivant le conseil de son fils Guy, M. Plante entre en contact avec la Clinique des oiseaux de proie de la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal, à Saint-Hyacinthe. Le vétérinaire, le Dr Guy Fitzgerald, à qui il a envoyé des photos, confirme qu’il s’agit d’un faucon émerillon. Il lui recommande d’intervenir le moins possible, de ne pas le toucher ni le nourrir, tant que ses parents s’en occupent. Le jeune grandit, prend des forces, perd son duvet et les plumes poussent de plus en plus. Et il se déplace aussi de plus en plus. Bientôt, le triangle de son territoire sera insuffisant. Il ira de l’autre côté de la haie, sautillera même sur le perron de la maison, causant bien des soucis à son protecteur, même s’il revient toujours au pied du gros pin. Toujours le même, ce qui laisse croire que le nid est en haut de celui-ci. Le Dr Fitzgerald lui confirmera qu’il est sûrement tombé du nid et l’informe que ces oiseaux de proie sont reconnus comme n’étant pas très habiles pour construire leur nid. Le voyant grandir, M. Plante lui dit : « Quand tu seras grand, viens pas manger mes mésanges, écoute le major! »

Le vétérinaire dit que tant que le jeune faucon ne sera pas en danger, il peut le garder ainsi chez lui, mais à la moindre menace, il lui faudra le capturer et le transporter à la Clinique. Jusqu’ici, tout va bien, les deux se regardent maintenant dans les yeux. L’ancien major veille et il s’accommode assez bien du jeu de cache-cache. Mais il sent venir la fin. Étant toujours en contact avec la Clinique, il s’informe du danger que les parents l’attaquent. « Non, ils l’auraient déjà fait », lui répond Mme Louise Yelle, secrétaire administrative de l’Union québécoise de réhabilitation des oiseaux de proie (UQROP). Le 30 juin, à 8 h 20, il ne le trouve pas. Il est inquiet. « Lance-moi donc un petit cri, pour que je sache où tu es. » Pas de réponse. Il se rend compte qu’il l’aime, ce petit. À 13 h 30, il retrouve son protégé en plein soleil. Le lendemain, son petit-fils Olivier, 19 ans, l’accompagne et il trouve une grande plume. Elle sera identifiée par la Clinique comme appartenant très probablement à la mère ou au père de l’oiseau, et il recevra toutes les autorisations nécessaires à sa conservation.

Le jour du drame

Le mardi 3 juillet, à 5 h 30 du matin, M. Plante est dans son jardin, mais ne trouve pas Grisou. « Le petit sacripant, il est parti gambader, c’est peut-être la fin de l’aventure », se dit-il avec tristesse. Il part dans la rue à sa recherche, longeant les haies des voisins. Il craint que l’un d’eux ne le prenne pour un vagabond et appelle la police. De l’autre côté de la rue, trois maisons plus loin, il le voit qui appelle ses parents pour le déjeuner. Tout près, un gros chat le guette. Sur le lampadaire, la mère crie sans arrêt. Sentant le danger, le petit ne bouge pas du pied de la haie. Le protecteur comprend que c’est la fin. « Mon cœur battait à 180 à la minute. » Il a assez vu mourir de gens au Rwanda, il avoue ne pas vouloir voir Grisou se faire capturer et dévorer par le chat. « Je suis retourné chez moi pour une vingtaine de minutes et je suis revenu avec une boîte pour le capturer, au cas où il serait toujours vivant », raconte-t-il.

Entre-temps, le chat est disparu, la mère est venue porter un oiseau à manger à son bébé et il est occupé à prendre son déjeuner sur l’herbe. C’est l’occasion, M. Plante s’en approche et le capture avec sa boîte renversée. Il est 6 h 30, il téléphone et envoie un courriel à la Clinique des oiseaux de proie, mais il doit attendre l’ouverture à 9 h pour avoir une réponse. On l’attend là-bas. « J’aurais bien aimé le garder jusqu’à ce qu’il vole, mais c’était devenu impossible », conclut-il tristement.

À la Clinique, l’équipe au complet l’accueille. C’est avec beaucoup d’émotion qu’il leur remet Grisou. On s’emploie à prendre diverses mesures pour constater son état de santé, qui sera déclaré excellent. Mais impossible pour le moment de dire le sexe. Il est, par la suite, transféré au Centre de réhabilitation des oiseaux blessés et mis dans une volière où se trouve une mère faucon émerillon. « C’est pour parfaire son éducation. Instinctivement, elle l’adoptera et lui apprendra à chasser et à voler », l’informe-t-on.

Dans quelques semaines, ce sera la remise en liberté. L’oiseau aura été examiné de nouveau et bagué. Jean-Guy Plante, devenu officiellement son parrain, attendra l’invitation pour aller voir son Grisou prendre son envol.