La fermeture d’une « institution » : la Ferronnerie Mandeville
Comme une traînée de poudre, la nouvelle s’est répandue dans Saint-Bruno : la Ferronnerie Mandeville, établie ici depuis 47 ans, ferme ses portes le 5 juillet. Le journal Les Versants a rencontré la propriétaire, Mme Raymonde Mandeville. « L’institution » a pignon sur la rue Montarville, en face de l’église Saint-Bruno.
Monsieur a besoin d’une vis pour réparer un appareil. Immédiatement, il dit à madame : « Je m’en vais chez Mandeville ». Les rôles peuvent être renversés. En arrivant à la quincaillerie, il est reçu avec le sourire : « Est-ce que je peux vous aider? » Le client est mené directement au comptoir où il sera servi. Le commis l’accueille avec politesse, il écoute la demande, regarde l’objet à remplacer et dit : « Un instant, je reviens ». Le client a tout juste le temps de fureter sur un présentoir voisin, où, instantanément, il découvre autre chose qui, justement, lui fait défaut. Le commis revient, propose l’objet au client et les deux s’accordent pour dire : « C’est tout à fait ça ». Il ajoute : « Merci beaucoup, Madame, ou Monsieur. Au revoir et à la prochaine! »
Toujours dans un climat de cordialité où la compétence règne, cette scène se répète un nombre incalculable de fois chaque année, comme si, depuis 47 ans, un invisible magicien tournait la manivelle d’un moulin.
La Quincaillerie Mandeville n’a pas toujours occupé le local qu’on lui connaît actuellement, mais elle n’a jamais quitté la rue Montarville. En 1968, elle ouvre ses portes à l’endroit où se trouve actuellement la Tabagie. Deux ans plus tard, elle traverse la rue et achète la Ferronnerie Gatien. Le nettoyeur Le Baron occupe maintenant ce lieu. Depuis 1972, elle a pignon sur rue en face de l’église Saint-Bruno, où elle fait le bonheur de tant de citoyens.
L’idée de tenir commerce venait de Mme Mandeville, mais c’est M. Réal Mandeville qui le met sur pied. Dans les premières années, il conserve son emploi de policier à la Ville de Montréal afin de s’assurer que l’entreprise est rentable. Quand Manon, l’aînée, entre en 6e année, Mme Mandeville se joint à lui pour faire de cette entreprise l’incontournable qui fait partie du paysage montarvillois.
Malheureusement, Réal Mandeville décède en 2004. L’épouse et sa fille évoquent sa mémoire. « C’était un homme joyeux, il aimait beaucoup rire. Il adorait le hockey, les « Canadiens » étaient ses idoles! À Saint-Bruno, il faisait partie de l’équipe qui a joué à l’ouverture de l’aréna. Il a souvent eu des punitions, se souvient sa fille, il voulait toujours gagner! » Madame Mandeville affirme qu’il avait un très bon moral, et qu’il l’a conservé jusqu’à la dernière seconde.
Depuis, madame est seule à la barre. Sa fille Manon l’assiste à la comptabilité et Claudette Robert agit comme gérante. « Nous avons une quinzaine d’employés que nous aimons beaucoup », affirment en même temps la mère et la fille. Une offre d’achat intéressante la fait réfléchir. Elle juge qu’il est temps « de passer à autre chose », soutient la dame âgée de près de 83 ans, avec une certaine sérénité. Une chevelure argentée coiffe sa tête, un délicat sourire dessine ses lèvres et de grands yeux d’un bleu azur, où la lumière ne cesse de briller, éclairent ce doux visage que les clients ont l’habitude de rencontrer un peu partout dans le magasin.
On l’aperçoit dans tous les rayons, mais elle est davantage spécialisée dans la peinture. À l’écouter raconter, on comprend qu’elle éprouve une grande satisfaction à mélanger les couleurs pour obtenir exactement la nuance demandée. Elle a beaucoup travaillé. Cependant, elle affirme : « Ce n’était pas du travail, c’était par amour. Demain, je recommencerais. »
Le 5 juillet, la Quincaillerie Mandeville fermera ses portes et l’immeuble sera éventuellement démoli. Tout ce qui a été n’existera plus que dans le souvenir collectif des Montarvillois : l’incroyable fonds de commerce, l’accueil, la compétence, la politesse, la générosité personnifiés par cette grande dame et ses employés. Et ce, depuis tant d’années.
La famille
Raymonde Ruffet naît à Montréal, en 1932. Devenue orpheline de mère à l’âge d’un an, elle sera pensionnaire pendant neuf ans. Sans qu’elle en ait particulièrement le goût, elle étudie le piano. « C’était comme ça! », lance-t-elle. Elle travaillera comme secrétaire et, en 1955, elle épouse, à Montréal-Nord, Réal Mandeville, policier à la Ville de Montréal. En 1958, le couple et un premier enfant, Manon, s’installent à Saint-Bruno.
Cette dernière est née en 1957, elle travaille à la quincaillerie comme comptable et elle fait beaucoup de bénévolat. Sa fille, Anne-Lucie, travaille à la caisse durant l’été. Lucie est née en 1960 et elle a un fils. Benoit, né en 1962, a trois filles. Et Éric, né en 1964, a… un cheval! Tous les enfants ont travaillé à la quincaillerie et quelques-uns des petits-enfants, dont Anne-Lucie, fille de Manon, qui y travaille cet été.
Mme Mandeville raconte qu’en 1995, elle et son mari ont déménagé à L’Île-des-Sœurs, « pour qu’il soit plus près du Forum de Montréal, où il adore voir jouer son club préféré, les Canadiens! », laisse-t-elle tomber en riant.
Tous les deux ans, le couple faisait un grand voyage. Elle voyage encore avec ses enfants, principalement avec Lucie. « Je suis très gâtée », avoue l’octogénaire. Manon révèle que sa mère est une pro au scrabble. « Elle joue régulièrement avec trois autres femmes et elle est la plus jeune du groupe. L’aînée a 90 ans! »