Serge Dessureault contre le cancer
Prévention des maladies professionnelles au Service de sécurité incendie de Montréal
Le capitaine des pompiers de la caserne 19, l’une des plus actives du Grand Montréal, le Montarvillois Serge Dessureault, commente les procédures que veut mettre en place le Service de sécurité incendie de Montréal (SIM). Rencontre.
Le SIM, en collaboration avec l’Association des pompiers de Montréal (APM), veut sensibiliser les sapeurs aux risques liés aux contaminants de l’incendie et rappeler l’importance de se protéger contre ceux-ci. « Le métier a changé. La société a changé. La technologie aussi. Toute ma carrière a été marquée par les changements, observe Serge Dessureault, que le journal Les Versants a rencontré. Ce que nous respirons sur le site d’un feu est bien plus nocif aujourd’hui. Maintenant, tout est chimique. Les particules que nous ne voyons pas dans l’air sont beaucoup plus dangereuses que le feu. Ce sont les pires toxines; ces produits sont du poison. »
En ce sens, le SIM introduira de nouvelles mesures en 2018 pour réduire la contamination. Selon le Service de sécurité incendie, le « port complet et adéquat de la tenue intégrale demeure le moyen le plus efficace de prévenir les maladies professionnelles chez les pompiers ». Les procédures opérationnelles sont également revues afin d’assurer de meilleures pratiques de travail.
« C’est le côté triste de notre emploi. Les pompiers ont tendance à mourir plus jeunes que le reste de la société. […] Il n’est pas rare de voir partir de jeunes retraités. Ceux-ci n’ont pas 80, encore moins 90 ans. » -Serge Dessureault
Changement de culture
Par port complet et adéquat de la tenue intégrale, le SIM entend entre autres les gants, la cagoule, le casque, la partie faciale de l’appareil respiratoire. Mais il y a aussi d’autres mesures de prévention à prendre : le nettoyage de l’habit, la douche obligatoire au retour à la caserne, le nettoyage des véhicules. Éventuellement, le SIM envisage l’achat de 35 camions autopompes avec douches portatives. « Il y a 30 ou 40 ans, il n’était pas rare de voir des pompiers d’expérience ne pas porter d’appareil respiratoire. Au même titre que plus un habit de combat était noir et sale, plus ça faisait cowboy. C’est à partir de la fin des années 80, début des années 90, qu’un changement de culture et de mentalité s’est installé. Aujourd’hui, nous savons tous que l’appareil respiratoire est efficace à 100 % dans un feu », poursuit le Montarvillois, qui fait partie d’une cohorte de « pompiers très sensibilisés » à la cause. « Nous en avons vu plusieurs avec un diagnostic de cancer pour ne pas faire attention aujourd’hui. »
Ces nouvelles procédures ciblent davantage les pompiers du centre-ville de Montréal, plus particulièrement ceux exerçant leur profession sur le Plateau, dans Ville-Marie, Ahuntsic, Rosemont. Ce sont ces hommes et femmes qui sont plus à risque de développer un cancer en raison d’une plus grande exposition aux incendies. « Je fais partie des pompiers concernés, car je travaille au centre-ville : à Hochelaga, sur le Plateau, dans Ville-Marie », explique Serge Dessureault, qui souligne le « travail incroyable » du syndicat. Ça fait des années que je lis sur le sujet. J’ai des confrères qui ont reçu des diagnostics de cancer. Nous le savons depuis des années; les études tendent vers ça. »
Depuis les 15 dernières années, une centaine de cas de réclamation pour des cancers chez des sapeurs œuvrant à Montréal ont été reçus à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST).
Selon la Société canadienne du cancer, plus d’un pompier sur deux sera frappé par cette maladie au cours de sa vie, ce qui représente une statistique de 9 % plus élevée que chez les Canadiens moyens.
Mourir plus jeunes
Et pour cause, il n’est pas rare que M. Dessureault et ses collègues reçoivent un avis de décès concernant le départ prématuré d’un ancien confrère en raison de ce fléau : « C’est fou! C’est le côté triste de notre emploi. Les pompiers ont tendance à mourir plus jeunes que le reste de la société. Nous passons notre vie, au travail, à prendre toutes les précautions sur les lieux d’un feu. Mais il n’est pas rare de voir partir de jeunes retraités. Ceux-ci n’ont pas 80, encore moins 90 ans. »
En 2016, alors qu’il affrontait un tout autre défi avec l’ascension du K2, un sommet du massif du Karakoram, situé sur la frontière sino-pakistanaise, Serge Dessureault apprenait la mort d’un collègue et ami, décédé d’un cancer du cerveau. « Par chance, son cancer a été reconnu maladie professionnelle », dira-t-il.
Trois jours après l’incendie d’un commerce de la rue Saint-Denis [le 11 mars], ses cheveux sentent encore la fumée. Selon lui, il ne faut pas être fort en sciences pour comprendre que celle-ci s’imprègne jusque dans le corps. « Le but premier d’un pompier, c’est d’aider les gens, dans un feu, sur le site d’un accident d’auto… Nous voulons aller au feu, sauver une vie, un immeuble, parce que nous adorons ça, malgré le risque. » Pompier d’expérience, le sportif a développé le réflexe d’aller courir après chaque fois qu’il éteint les flammes. « Ça fait du bien, je garde la forme et ça me permet de respirer mieux ensuite. Peut-être que j’éloigne aussi la maladie… »
Le capitaine de la caserne 19 déplore que le Québec montre un certain retard dans le domaine, contrairement aux autres provinces canadiennes. « Nos syndicats se battent depuis longtemps pour nous, alors qu’ailleurs au pays, 8 à 12 cancers par province ont déjà été reconnus. » Ce n’est qu’en 2016 que la CNESST a attesté que certains cancers étaient liés aux contaminants de l’incendie, dont ceux de la vessie, du poumon et du rein.
Presque 30 ans de métier plus tard, Serge Dessureault est sur le point de prendre sa retraite, d’ici environ un an et demi. Comme fin de carrière, il envisage d’enseigner au Collège Montmorency en technique de sécurité incendie, pour préparer la relève. Depuis deux ans, il est sur une liste de rappel pour ce rôle. « Si ça va bien avec les élèves, c’est une fin de carrière qui pourrait me plaire, poursuit le père de famille. Ça me permettrait de revenir à mes premiers amours. » En effet, M. Dessureault détient un baccalauréat en enseignement. Plus jeune, il souhaitait devenir enseignant d’éducation physique. « Professeur de cégep! Ce serait une belle manière de clore la boucle. »
Disparition d’enfants
En marge de la disparition du jeune Ariel Jeffrey Kouakou, qui manque à l’appel depuis le 12 mars dernier, M. Dessureault signale qu’il n’a pas été impliqué dans les recherches. « Il y a eu une disparition d’enfant dans mon secteur, à mes débuts. C’est une situation qui nous touche; comme pères de famille, nous capotons tous. Lorsqu’un enfant disparaît plus de 24 heures, il y a toujours cette peur d’apprendre la pire des conclusions. »
QUESTION AUX LECTEURS :
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