Jean-Guy Plante : la mémoire du génocide rwandais

Le journal a rencontré le major retraité Jean-Guy Plante, citoyen de Saint-Bruno-de-Montarville, le 11 novembre. Une date qui, chaque année, lui fait revivre les drames du Rwanda dont il a été témoin, alors qu’il était porte-parole des Nations Unies.

Se souvenir, le 11 novembre, jour de l’Armistice, de nos militaires morts au combat depuis la fin de la Première Guerre mondiale, a un écho différent que l’on soit civil ou militaire.

Pour le major retraité Jean-Guy Plante, médaillé du Mérite militaire en 1985, du Service méritoire en 1995 et de l’Assemblée nationale en 2019, ce 11 novembre a été l’occasion, avec le journal, de revenir sur une de ses missions qui le marquera à vie : le Rwanda.

« En arrivant à l’aéroport, nous avions une dizaine de kilomètres à faire pour aller à Kigali. Plus on s’approchait de la ville, plus l’odeur était mauvaise. J’ai demandé ce que c’était. Le militaire qui m’accompagnait m’a indiqué que c’était l’heure à laquelle les gens brûlaient les cadavres. Depuis, j’ai cette odeur imprégnée à jamais dans la gorge. »

En 1961, à l’âge de 17 ans, il intègre les Forces armées canadiennes (FAC) et quitte son petit village d’Abitibi. « Je voulais avoir une vie loin de la normale. » En 1964, il mettait sans le savoir le pied dans un continent qui marquera sa carrière militaire et sa vie. Il découvrait l’Afrique comme Casque bleu des Nations Unies.

Porte-parole
Après le Congo et la Somalie, c’est le général Roméo Dallaire, commandant de la Mission des Nations Unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR), la force du maintien de la paix des Nations Unies au Rwanda en 1994, qui changera le destin du major Plante en appelant en renfort des officiers canadiens. « J’étais en mission en Somalie à ce moment avec deux copains. Nous avons eu trois ou quatre jours pour faire notre sac et prendre l’avion pour le Rwanda. Je n’avais aucune idée de ce qui m’attendait. On m’a simplement signalé que je devais y aller pour une mission de deux mois. J’y suis resté une année. »

Rapidement, le général Dallaire lui donne la fonction de porte-parole de la mission des Casques bleus. Il devra aussi encadrer les journalistes sur le terrain afin de montrer au monde les images d’un génocide. « En plus de mon travail de porte-parole, je transportais les journalistes dans différents endroits à Kigali ou dans les environs. Nous voulions faire sortir le plus d’images terribles possible dans le but de sensibiliser la communauté internationale. »

Même si les images de massacres au bâton, à la fourche ou encore à la machette faisaient le tour du monde dans des rues ensanglantées, M. Plante a été obligé de constater l’absence de réaction internationale. « Avant le massacre, il y avait 2500 Casques bleus. Pendant, ils n’étaient plus que 300. C’est probablement la pire chose que l’on puisse vivre en tant que militaire, de voir mourir des gens sous nos yeux et de ne pas pouvoir intervenir. »

« Le militaire qui m’accompagnait m’a indiqué que c’était l’heure à laquelle les gens brûlaient les cadavres. Depuis, j’ai cette odeur imprégnée à jamais dans la gorge. » – Jean-Guy Plante

En héros
Devant la situation, M. Plante a risqué sa vie pour sauver deux enfants alors qu’aucun ordre de le faire ne lui avait été donné. « Un père rwandais qui venait de perdre ses deux filles et sa femme, et que nous avions sauvé, m’a indiqué que ses deux fils étaient vivants et qu’il fallait les chercher. L’endroit était très dangereux. » Dans un premier temps, le major Plante a refusé de s’y rendre, jugeant le danger trop grand, mais lorsque le général Dallaire lui a laissé le choix d’y aller ou non, il a changé d’avis. « En se rendant à la maison où les deux enfants se cachaient, il y avait des centaines de personnes avec des bâtons, des fourches, des machettes qui criaient ‘’À mort les Belges’’ tout le long du trajet. Je n’arrêtais pas de montrer le drapeau canadien sur mon uniforme pour leur dire que l’on n’était pas Belges. Nous étions embarqués dans de petites ruelles avec un blindé; nous ne pouvions plus faire demi-tour. Nous pensions mourir. Finalement, dès que nous avons pu tourner, nous sommes tombés sur la maison où se trouvaient les enfants, que nous avons pu sauver. »

Un acte héroïque du militaire qui, comme son général, allait à l’encontre de la mission de l’ONU au Rwanda, qui ne voulait pas que les Casques bleus interviennent dans ce conflit.

Acteur de la guerre
Le général Dallaire inspirera plusieurs scénarios, dont celui du film Hôtel Rwanda (2004), ou encore J’ai serré la main du diable (2007), un film de Roger Spottiswoode tiré du livre éponyme écrit par le général.

Le tournage de ce dernier film s’est déroulé en 2006, à Kigali et à Montréal. Le général Dallaire est interprété par Roy Dupuis, et Jean-Guy Plante a été embauché par le réalisateur comme conseiller militaire tout au long du tournage. « Le réalisateur est venu me voir à Montréal pour que je partage des photos, des vidéos que j’avais. Puis, très vite, il m’a offert un emploi comme conseiller. Je lui ai dit ‘’Quand est-ce qu’on part?’’. » Là encore, il avait été engagé pour deux semaines de tournage. Il y est resté trois mois. Il apparaît même brièvement dans la version finale de cette production cinématographique, y interprétant son propre rôle.
En allant de nouveau pour le tournage au Rwanda, en sortant de l’avion, tout lui est revenu à l’esprit. « J’ai été capable de passer par-dessus. J’ai trouvé le tournage parfois difficile, mais ce n’était rien comparativement aux Rwandais embauchés comme figurants qui devaient revivre au cinéma les horreurs qu’ils avaient vraiment vécues. Chaque journée de tournage leur a rapporté dix dollars américains, soit près de six mois de salaire pour eux. »

Une retraite active
À la suite de sa retraite militaire, il a occupé plusieurs postes à l’ONU dans divers pays d’Afrique et en Macédoine.
Jusqu’à récemment, le major retraité Plante donnait des conférences à travers le monde sur le rôle du Conseil de sécurité des Nations Unies, des Casques bleus et sur le génocide au Rwanda. Lors d’une cérémonie tenue à la filiale 147 Montarville, de Saint-Bruno-de-Montarville, membre de la Légion royale canadienne, il a reçu une courtepointe de vaillance.

Parti pour deux mois au Rwanda à l’origine, il y aura passé en tout 13 ans « et j’ai toujours la même épouse, avec qui j’ai eu deux enfants et cinq petits-enfants ».

Tous les deux ans, lui, le général Dallaire et d’autres frères d’armes se réunissent à Montréal pour boire un verre et parler de l’histoire du Rwanda, dans laquelle ils ont joué un rôle.

Quand on lui demande ce que représentent pour lui les cérémonies commémoratives du 11 novembre, « c’est une journée par année où les militaires et la population civile prennent une minute pour rendre hommage aux Forces armées qui ont servi leur pays au risque de leur vie ».