Champignons et guêpes luttent contre l’agrile du frêne

Si l’agrile du frêne donne des maux de tête à certains, pour Robert Lavallée, entomologiste à Ressources naturelles Canada et au Service canadien des forêts, le sujet représente un vrai terrain de jeu. Depuis plus d’une décennie qu’il étudie les problèmes entourant cet insecte dévastateur, il travaille présentement, avec des collègues chercheurs, sur une solution naturelle pour capturer celui-ci.

« L’agrile est un insecte très difficile à détecter et lorsqu’on le trouve, il est trop tard, puisqu’il a déjà causé des dommages et s’est déjà multiplié. Il sera alors difficile de ne pas couper ces frênes qui auront été attaqués, d’expliquer d’entrée de jeu l’expert. Au Canada, nous sommes pris avec ce problème depuis plus de 10 ans, puisqu’aucun prédateur de cet insecte n’est encore bien installé et que les frênes n’ont aucune résistance à l’agrile. »

C’est d’ailleurs ce sur quoi travaillent M. Lavallée et d’autres chercheurs : introduire dans la nature une défense qu’elle n’a pas, en apportant un équilibre naturel par la lutte biologique.

La lutte biologique par les champignons et les guêpes

Depuis 2002, Robert Lavallée étudie le comportement des guêpes « tetrastichus planipennisi » sur l’agrile du frêne, dans le sud de l’Ontario. Cet insecte parasitoïde, aussi petit qu’une tête d’épingle, pond une quarantaine d’œufs dans chaque larve d’agrile qu’il croise. Chacun de ces œufs pondra une quarantaine d’autres œufs, et ainsi de suite, ce qui ralentit de beaucoup la propagation de l’agrile.

Autre technique biologique à l’étude : le champignon entomopathogène « beauveria bassiana ». Celui-ci contamine l’agrile, qui mourra en dedans de cinq jours. « Le but est de capturer l’agrile sans le tuer tout de suite. Ainsi, l’insecte contaminé en contaminera d’autres lors de l’accouplement. Et la nature fera le reste… », indique M. Lavallée, qui travaille en collaboration avec le Dr Claude Guertin, de l’INRS Institut Armand-Frappier, sur ce projet.

« Quand le champignon entre en contact avec l’insecte, il germe et pénètre dans celui-ci. L’insecte malade devient alors un contaminant pour les autres agriles et les feuillages qu’ils contaminent à leur tour. Ce mécanisme de coévolution est très poussé et naturel, et ça vient du Québec, d’informer M. Lavallée. Ça fait quatre ans que l’on travaille dans le sud de l’Ontario pour démontrer l’efficacité de la stratégie. On sait que ça fonctionne. L’année dernière, nous avons eu des résultats renversants. »

En 2015, il y aura un déploiement plus important de champignons. « Ce sera du jamais-vu, de dire le chercheur. Les boisés deviendront des laboratoires à ciel ouvert.»

Les pièges

Outre la technique de l’écorçage pour attirer l’agrile du frêne, les chercheurs ont aussi mis en place un piège en forme de prisme, recouvert d’une colle dans laquelle sont reproduites les kairomones, générées par les frênes stressés ou en détresse, ou des phéromones, pour attirer l’agrile.

Afin d’attraper le plus d’agriles possible, il faut bien comprendre la biologie de l’insecte : « Nos travaux de recherche démontrent qu’il faut placer les pièges du côté sud et le plus haut possible dans la cime de l’arbre. L’insecte est sensible à cette notion géographique. »

La coupe et le traitement

Selon Robert Lavallée, la coupe des arbres malades, la prévention par l’injection du TreeAzin et la lutte biologique sont à ce jour les trois éléments qui peuvent réduire la population de l’agrile du frêne, en attendant que les recherches sur les guêpes et les champignons se terminent : « Le TreeAzin est excellent pour protéger les arbres qui ne sont pas attaqués ou qui sont faiblement infectés. Le traitement va réduire la fécondité des femelles, précise-t-il. Les municipalités peuvent l’utiliser, mais, pour de meilleurs résultats, il faut que les citoyens agissent aussi. L’agrile ne fait pas la différence entre un arbre dans le secteur public et privé. »

La nature est lente, soyons patients

« Ce qu’on entend dire autour de l’agrile, c’est que c’est catastrophique. Mais on a fait de grands pas dans la recherche. La nature est lente à réagir. Et notre travail est de réinstaurer des mécanismes de défense dans la nature et, à ce niveau-là, la recherche a été très active. Il s’est fait de belles découvertes qui, à plus ou moins long terme, permettront d’amoindrir le problème », conclut Robert Lavallée.